CHAPITRE III


LES ARMES POUR ARMES DE GROS CALIBRE, DES EXPERIENCES DE SAINT-CYR A LA GRANDE GUERRE, L’ACTION LOINTAINE ET LE DUEL D’ARTILLERIE DANS LE NOUVEAU SYSTEME,
1889-1914.

1ère PARTIE : LES GRANDS CUIRASSEMENTS DE 1889 à 1914

A) Les anciennes tourelles en font dure

1) Les expériences de Saint-Cyr

Un petit retour en arrière est indispensable pour voir ce qui se passe avec les tourelles de 1878. En tout, vingt-cinq exemplaires ont été construit. Pour essayer de les remettre à niveau, sans pour cela être obligé d’investir des sommes considérables, le Service des Cuirassements, qui a cette époque bénéficie encore d’une certaine autonomie face à la Section Technique du Génie, organise des expérimentations sur une tourelle en fonte dure, installée au fort de Saint-Cyr, au sud-ouest de Paris.

La Dépêche Ministérielle du 26 juin 1889, décrit le programme suivi par la Commission d’évaluation. On a d’abord testé l’efficacité d’un appareil de ventilation, appareil manuel, chargé de renouveler l’air dans la chambre de tir. Ensuite on a monté sous l’avant-cuirasse un pare-éclats obturateur, pour empêcher les gaz et les éclats de projectiles de pénétrer dans la tourelle, par le vide annulaire existant entre la tourelle et l’avant-cuirasse. Les essais sont satisfaisants. Dans deux rapports, datés respectivement des 10 août et 17 septembre 1890, la Commission chargée des essais, estime que les tourelles en fonte dure peuvent encore être utilisées avec l’adjonction d’un appareil de ventilation et d’un pare-éclats, à la place de la gouttière en dessous de la margelle de l’avant-cuirasse. Une autre modernisation est l’installation d’une machine à vapeur chargée d’actionner le mécanisme de rotation continue. Ces petites expériences sont passées presque inaperçues à l’époque, pendant le tumulte provoqué par les évaluations des nouveaux prototypes. Cependant, il n’y a eu aucun tir effectué contre la tourelle pour tester sa capacité de résistance.

Ce type de renforcement (Planche XLVII), désormais désigné sous le terme de " renforcement type Saint-Cyr ", va être appliqué à une petite partie des tourelles en fonte dure. Le marché du 28 avril 1908 est le premier concernant ce type de renforcement. Il concerne quatre tourelles. On ne précise pas lesquelles. La seule certifiée est de du fort de Pont-Saint-Vincent, près de Nancy. Pour les trois autres, une pourrait être celle du fort de Longchamp à Epinal, dont est sûr qu’elle a été renforcée. En 1913, deux nouveaux marchés sont passés : celui du 30 avril, pour deux forts de Maubeuge, Le Boussois et Cerfontaine, et celui du 22 octobre, pour six tourelles. Les travaux seront interrompus en 1914.

 

2) Les expériences de Pagny-La-Blanche-Côte

Elles sont beaucoup plus sérieuses que celle de Saint-Cyr. Elles se déroulent entre septembre et octobre 1901 au fort de Pagny-La-Blanche-Côte, situé au sud-ouest de Toul. Il s’agit d’un fort isolé, qui surveille la Trouée de Charmes. Le Service des Cuirassements décide de tirer des obus modernes sur la tourelle pour tester son degré de résistance. On utilise des canons de 155 courts et des mortiers de 220 m/m. Ce sont les calibres les plus usuels de l’artillerie française.

Après le tir des 155, on ne constate que peu de dégâts sur la tourelle, mis à part quelques éclats d’obus qui ont touché les volées des pièces. Le tir des 220 provoque quelques dégâts. Si le cuirassement a bien résisté, les maçonneries ont présenté quelques faiblesses. La machine à vapeur, chargée d’actionner le mécanisme de rotation continue, a été rapidement mise hors-service au cours du bombardement. Pour ce qui est de la rotation continue, la Commission chargée des essais pense que les embrasures de tels engins seront de toute façon atteintes. C’est pourquoi la Commission propose la suppression pure et simple de cette machine à vapeur et de revenir au système manuel. La Commission propose également de commencer les renforcements des gouttières d’avant-cuirasse, ainsi que le renforcement des maçonneries soutenant cette même avant-cuirasse.

Une dernière conclusion faite, par la Commission, est que ces vieilles tourelles sont beaucoup trop faciles à repérer de loin. Il faudrait, pour les rendre moins vulnérables, les défiler aux yeux de l’ennemi. Cette conclusion est suivie d’un projet absolument incroyable : celui d’abaisser l’ensemble de la tourelle pour la défiler. Cette opération serait réalisée grâce à la suppression d’un des étages inférieurs (Planches XLVIII et XLIX). La tourelle serait ainsi abaissée de 3,65 mètres pour donner au massif protecteur l’épaisseur nécessaire. Avec une contre-pente de 5°, la tourelle, tout en étant défilée, pourra, dans le cas particulier de Pagny-La-Blanche-Côte, atteindre tous ses objectifs à partir d’un rayon de 800 mètres. Pour abaisser la tourelle, il suffirait de construire en dessous des assises de la Mougin, une charpente métallique reposant sur quatre puissants vérins. Une fois le cuirassement dégagé du massif, les vérins se chargeraient d’abaisser l’ensemble jusqu’au niveau souhaité. Il ne resterait plus alors qu ‘à re colmater les fondations de la tourelle avec massif. Ce travail considérable a été effectivement réalisé dans un fort, le fort de Frouard, près de Nancy (Planche L). Le coût d’une telle opération a été estimé, à l’époque, à 140.000 francs. D’après le chef de la Section Technique du Génie, défiler la tourelle serait un minimum auquel on pourrait se tenir pour certains cas particuliers.

 

3) Les expériences de Pont-Saint-Vincent

Il s’agit des dernières expériences effectuées sur les tourelles en fonte dure avant 1914. Elles se déroulent les 23 et 24 mars 1910, sur la tourelle du fort de Pont-Saint-Vincent, à l’ouest de Nancy. Leur but est de vérifier s’il est possible d’installer un système d’éclairage électrique dans la tourelle, ainsi qu’un système de ventilation. Ces expériences de ventilation et d’éclairage vont donner lieu aux dernières modernisations pratiquées sur ces " dinosaures ".

Le système de ventilation électrique permet un refoulement rapide des gaz provoqués par le tir des canons, ainsi qu’un renouvellement plus rapide que le système manuel de l’air dans la chambre de tir. Le système d’éclairage électrique est branché sur le même circuit que le moteur du ventilateur. Il assure un éclairage plus efficace de la chambre de tir, que les vieilles lampes à pétrole. Le service des pièces est ainsi facilité et le pointage est plus rapide.

Presque toutes les tourelles en fonte dure vont bénéficier de ces modernisations. Ces petites améliorations sont bien représentatives de l’importance qu’on accorde à ces engins. Il s’agit tout de même d’un cuirassement armé de deux canons de 155 m/m Longs, pièces d’artillerie très efficaces, pouvant dans ce cas tirer dans un vaste rayon d’action. Dans les premiers temps d’une attaque ennemie, quelques-unes de ces tourelles seraient encore capables de rendre de précieux services.

 

B) Les cuirassements " annexes "

1) Les casemates cuirassées

Les casemates en fonte dure reçoivent, pendant cette période, les mêmes modernisations que les tourelles. C’est à dire, l’installation d’un système de ventilation plus efficace et un éclairage électrique à l’aide d’ampoules placées dans des hublots. Auparavant, la ventilation se faisait à l’aide d’une simple cheminée ouverte sur l’arrière de la casemate, ce qui provoquait, lors de tirs, un enfument rapide des locaux.

Les quatre casemates en fer laminé vont connaître un sort particulier. Les deux exemplaires du fort d’Arches, au sud d’Epinal, sont détruits en 1892 lors de la modernisation du fort. Les deux qui restent, voient leurs vieux canons de 138 m/m remplacés par des canons de 120 m/m Longs. La décision de moderniser ces cuirassements a été prise le 18 septembre 1913. Les canons de 120 longs sont installés sur un nouveau type d’affût de casemate. Cet affût est si satisfaisant qu’on décide de s’en servir pour équiper quelques " caves à canons " de forts du sud-est de la France.

Au moment de la modernisation de ces casemates en fer laminé, un projet est présenté pour la construction d’un nouveau modèle de casemate avec bouclier tournant, reprenant le même système que les casemates en fer laminé, mais avec un blindage plus performant. A noter que ce cuirassement est destiné à équiper des forts de montagne, où une casemate se justifie plus qu’une tourelle, ayant à défendre des secteurs précis. En 1914, ce projet est encore en cours d’étude.

 

2) Les prototypes de Châlons

Après les expériences, il s’avère intéressant de voir le sort qu’on a réservé à ces gros engins. Ces cuirassements expérimentaux ont coûté très cher. L’armée a pris en charge la quasi-totalité du financement. Elle décide donc de les récupérer et de les installer dans des forts de places de l’Est. Deux décisions sont prises à ce sujet, une du 22 janvier 1889, pour la coupole Mougin, la deuxième du 26 juin 1889, pour la tourelle Bussière. Elles prévoient leur remise en état et leur transfert vers le " service actif ".

La coupole de Saint-Chamond est installée au fort Saint-Michel à Toul. Ce fort occupe une hauteur qui domine l’ensemble de l’agglomération touloise. La coupole est placée dans un secteur où elle est bien défilée aux vues lointaines. Depuis la position qu’elle occupe, elle contrôle un grand nombre de voies de passage. On se rend compte qu’ainsi défilée, une coupole tournante est une cible très difficile à repérer et à détruire. Mais les gros engins tournants n’ont plus la confiance des militaires, qui exigent désormais la protection totale des canons.

La tourelle Bussière, qui a été modernisée en 1888, est installée en batterie extérieure, près du fort de Souville, au nord-est de Verdun. Elle est placée sur une position dominante, moins défilée que la position de la Mougin à Toul. Grâce à système d’éclipsage, cette position ne constitue en rien un handicap pour cette tourelle. Cette installation prouve qu’on peut placer, sans les rendre repérables, des engins à éclipse en des endroits surplombant un vaste secteur.

 

3) Les autres projets

Le but du présent travail est l’étude des cuirassements dans la fortification terrestre française. Pourquoi alors se pencher sur les projets non adoptés par les militaires français ? Tout simplement parce qu’ils illustrent bien les chemins différents pris la France et la Belgique. Il est en effet intéressant d’évoquer la position belge sur l’emploi des cuirassements. La Belgique sous l’impulsion de Brialmont, a décidé de baser la défense de ses nouveaux forts de la Meuse sur les cuirassements. Or, même la puissante industrie belge n’est pas en mesure d’assurer seule la fourniture de l’ensemble de ces engins. Des contacts ont été pris avec des industries étrangères, allemandes et françaises. Ces contacts vont révéler aux Français, quelques projets belges assez intéressants, que nous aurons l’occasion d’évoquer plus loin, car ils ont eu une application concrète. La construction des forts de la Meuse débute vers 1887.

Pour mener à bien la construction des cuirassements commandés aux sociétés étrangères, le gouvernement belge a imposé à chaque usine étrangère adjudicataire, l’obligation de se constituer en syndicat avec une usine nationale. A cette dernière, est réservé tout ce qui lui est possible d’exécuter, reprenant à son compte certains projets étrangers, français et allemands. C’est ainsi que sont formées les sociétés suivantes : Schneider au Creusot et Usines Joe Cockerill de Seraing, Châtillon-Commentry, Société de Marcinelle et Couillet et Ateliers de la Meuse, Saint-Chamond et Usines de Seraing, Grüsonwerk et Usines de Seraing

Les belges vont uniquement reprendre, chez les Français, les projets de coupoles tournantes. Brialmont admire beaucoup le système à éclipse, mais il le trouve trop coûteux. C’est ainsi que des projets, destinés à l’origine à la France, vont se retrouver en Belgique. Les Usines de Saint-Chamond ont modifié les plans de la coupole Mougin de Châlons, supprimant le pivot central et remplaçant les canons de 155 m/m par deux pièces de 12 cm, conformes aux demandes belges. Le Creusot, qui a proposé, après Châlons, une coupole tournante concurrente de la Mougin (Planche LI), transforme ce projet à la demande des Belges, qui en commandent huit exemplaires (Planche LII). Les Français, plus prudents que les Belges, ont préféré faire des expériences plus longues et plus approfondies, avant de choisir un cuirassement. Ce choix, comme nous l’avons vu, s’est porté sur la tourelle Galopin.

 

C) La mise en service des tourelles Galopin

1) Un cuirassement qui pose des problèmes

On se souvient de l’enthousiasme provoqué par ce cuirassement. On peut maintenant s’attarder un peu sur sa mise en service entre 1893 et 1896. Il s’agit du dernier grand cuirassement français construit pour la fortification terrestre française. La construction des différentes pièces est partagée entre les quatre grandes usines : Schneider, Châtillon-Commentry, Fives-Lille et Saint-Chamond. C’est Schneider qui a le plus de pièces à construire. Conformément à ce qui avait été décidé par le Département de la Guerre, aucune usine n’a le monopole de la construction d’un modèle de cuirassement.

Ce cuirassement (Planche LIII et LIV) pose les mêmes problèmes de transport que les tourelles en fonte dure, à cause de nombreux éléments de grande taille, comme les morceaux d’avant-cuirasse, la muraille ou la calotte. Mais cette fois, pour le trajet séparant la gare du fort, à la place d’une machine à vapeur routière, on peut compter sur un réseau ferroviaire de voies secondaires à écartement des rails de 0,60 mètres, ce qu’on nomme les " voies étroites ". Les pièces sont posées sur les wagonnets, puis acheminées jusqu’au fort.

Pendant ce temps, la situation internationale a évolué. La France commence peu à peu à sortir de son isolement. Depuis la chute de Bismarck en 1890, l’Allemagne de Guillaume II, empereur allemand depuis 1888, s’est lancée dans une politique mondiale, une Weltpolitik. Ce changement de cap détourne l’Allemagne des affaires du continent européen et rassure un peu la France. Cette dernière s’est trouvé un allié potentiel avec la Russie. Le 27 avril 1891 a été signé l’accord franco-russe. La France sort peu à peu de son isolement. La situation de l’armée française est loin d’être celle de 1874. Les plans de mobilisation sont devenus de plus en plus offensifs. La mise en place des nouvelles tourelles, très coûteuses, se situe donc dans un contexte où la France sort peu à peu de la défensive. Le coût élevé de ces engins, qui explique les préférences de Brialmont pour les coupoles tournantes, va limiter leur utilisation. On peut néanmoins étudier les emplacement où vont être installés ces cuirassements, ils sont bien représentatifs des problèmes de la défense française de cette époque.

 

2) La défense de Nancy

Nous avons déjà vu que, pour la première fois, le plan VIII prévoyait la défense de la ville de Nancy. La grande agglomération nancéenne n’a pas été englobée dans le système Séré de Rivières. Ce dernier estimait que la ville était beaucoup trop proche de la frontière. Les seules fortifications présentes sont placées sur les hauteurs à l’ouest de la ville. Au nord-ouest, on trouve l’ensemble formé par le fort de Frouard et la batterie de l’Eperon, à l’ouest, le puissant fort de Pont-Saint-Vincent. Frouard et Pont-Saint-Vincent ont chacun reçu une tourelle en fonte dure. La batterie de l’Eperon a été, de son côté, équipée de deux casemates en fonte dure. Ce sont de nouveau ces deux ensembles qui sont choisis pour recevoir chacun une tourelle Galopin. La tourelle C est installée à la batterie de l’Eperon, la tourelle D au fort de Pont-Saint-Vincent. Ces deux tourelles apportent un renfort de quatre pièces de 155 m/m Longs, faisant ainsi des hauteurs ouest de Nancy un ensemble fortifié non négligeable, avec un total de dix pièces de 155 m/m sous cuirassements, dont huit sous tourelle. On peut y rajouter toutes les batteries à ciel ouvert installées autour des forts.

Pendant que ces travaux sont en voie d’achèvement, un nouveau plan de mobilisation est entré en service en 1895 : le plan XIII (Planche LV). Ce plan prévoit un large déploiement de troupes sur le massif du Grand Couronné, autrement dit, sur les hauteurs orientales de Nancy. Les cuirassements et les pièces des hauteurs de Frouard sont en mesure d’appuyer ces troupes. On peut se demander pourquoi ces nouveaux cuirassements n’ont pas été tout simplement implantés à l’est de Nancy, faisant ainsi de Nancy une petite place forte. Il y a d’abord la volonté de concentrer les cuirassements pour diminuer le personnel chargé d’assurer leur service. Enfin, il y a le coût de ces engins et les difficultés relatives à leur installation. Il était plus simple et moins onéreux de les établir au sein d’ouvrages déjà existants, disposant de voies étroites de ravitaillement. Leur installation ne nécessitait qu’une modification de certains locaux des forts. Leur implantation dans un secteur vierge de toute fortification aurait entraîné des dépenses supplémentaires pour la construction d’un nouveau fort avec ses voies d’accès. Ces cuirassements suivent l’évolution des plans de concentration des armées, qui s’intéressent à la défense de Nancy.

 

3) Un cuirassement trop cher

Les trois autres tourelles sont installées dans deux forts d’arrêt. La tourelle E est implantée au fort d’Arches, au sud-est d’Epinal, fort que nous avons déjà évoqué dans le Chapitre Premier. Les tourelles A et B sont rassemblées dans le fort de Manonviller, à l’est de Lunéville. On peut faire ici le même commentaire que pour la position occidentale de Nancy, ce choix suit l’évolution des plans de concentration. Ces deux tourelles se rajoutent aux deux anciennes en fonte dure, ce qui porte à huit pièces l’armement sous cuirassement de ce fort. Le fort de Manonviller est totalement isolé, il contrôle la route et la voie de chemin de fer Nancy-Strasbourg. On a donc équipé des forts d’arrêt, conformément à l’opinion émise par la Commission des expériences de Châlons.

Aucune autre tourelle n’est commandée. Ces cuirassements sont très efficaces, ils le prouvent au cours de tirs d’épreuve effectués lors de leur réception. Mais les sommes investies dans ces engins sont beaucoup trop importantes, elles ne permettent pas une diffusion très large de ces cuirassements. On les a établis dans des secteurs prioritaires, négligeant le Nord du pays et le passage éventuel des troupes allemandes par la Belgique. La construction des fortifications de Liège et de Namur n’y est peut-être pas étrangère.

En fait, un dilemme se pose pour les cuirassements armés de pièces de gros calibre, au tournant des années 1896-1897. Ces pièces sont indispensables dans un duel d’artillerie, c’est à dire dans une confrontation avec les pièces ennemies. Elles justifient là les sommes investies pour la recherche d’une protection efficace. Or, les tourelles Galopin offrent une protection parfaite de ces canons, mais elles coûtent beaucoup plus cher que les tourelles précédentes et sont donc condamnés à une diffusion restreinte. Les Français avaient le choix à l’époque, celui de donner une protection cuirassée " moyenne " à un grand nombre de pièces, comme Brialmont l’a fait en Belgique, ou alors une protection totale donnée à un petit nombre de pièces. C’est la deuxième solution qui est choisie, sans doute à cause du traumatisme provoqué par le déclassement rapide des tourelles en fonte dure.

Mais ce choix s’est rapidement avéré irréalisables financièrement, même en essayant de restreindre ces cuirassements aux seuls forts d’arrêt. Cela explique que seules cinq tourelles Galopin aient été construites. Il est aussi probable que pendant cette période, où l’armée française retrouve un esprit offensif, les sommes considérables investies dans les fortifications n’emportent pas tous les suffrages. Mais malgré cette évolution offensive, les fortifications restent d’actualité, surtout en cas d’attaque surprise. Si des projets de cuirassements pour armes de petit calibre commencent à être présentés à l’armée, l’évolution de ceux pour pièces de gros calibre ne va pas s’arrêter là. En fait, c’est l’incroyable qualité de leur construction, de leur agencement, qui a " tué " ces grandes tourelles, car cette qualité coûtait beaucoup trop cher. Pour les adeptes des cuirassements, pour la Section Technique du Génie, pour Galopin, ce n’est pas un réel échec. C’est à eux de relever ce nouveau défi, mettre au point des engins simplifiés et surtout moins coûteux, mais aussi trouver une structure plus intéressante pour les accueillir, afin de les rendre encore plus efficaces, pour qu’on ne regrette pas d’avoir abandonné ces tourelles Galopin.

 

2ème PARTIE : DES GRANDS CUIRASSEMENTS AUX CUIRASSEMENTS MOYENS (1895-1914)

A) Le problème de l’armement

1) Le grand débat de cette période : un ou deux canons par cuirassement ?

Après l’installation des tourelles Galopin et leur mise en service actif au courant des années 1893-1896, on s’est posé la question, à savoir si on allait continuer à cuirasser des canons de gros calibre. La Commission de Révision de l’Instruction du 9 mai 1874, créée le 22 juillet 1887, est remplacée par une nouvelle Commission, mise en place par l’Instruction Ministérielle du 4 février 1899. Cette Instruction définit le nouveau rôle tenu par la fortification, ainsi que les voies à suivre pour la modernisation de l’ancien système de défense. Nous verrons cette Instruction en détail plus loin, car elle est l’acte de naissance des petits cuirassements.

Pour ce qui est des gros calibres, l’Instruction du 4 février 1899 prévoit que " les forts et les ouvrages intermédiaires soient désormais, pour chaque grande place, les réduits de la ligne principale de défense ". Ils devront être capables de repousser une attaque de vive force. C’est pour cette raison qu’il leur faudra des pièces de gros calibre., pour tenir un rôle d’interdiction ou d’action lointaine. Ces pièces de gros calibre seront l’élément offensif de la nouvelle fortification. Pour que ces pièces tiennent le plus longtemps sous le feu de l’ennemi, il leur faudra une protection efficace, donc le recours au cuirassement. Les seules pièces concernées sont les canons de 120 et de 155 Longs pour l’action lointaine et l’interdiction, et les canons de 155 Courts, à tir courbe, pour contrebattre les batteries ennemies. On ne songe pas à cuirasser des pièces d’un calibre plus important. Or, les canons de 120 et de 155 Longs sont des pièces de dimensions assez respectables, exigeant des engins énormes et chers comme la tourelle Galopin. La Section Technique de l’artillerie va s’efforcer de raccourcir ces longues pièces, tout en leur conservant d’excellentes capacités balistiques. Pendant ces études, une violente controverse éclate au sein de la Section Technique de l’Artillerie et au sein de celle du Génie.

En effet, les ingénieurs se demandent s’il n’est pas plus avantageux de construire des cuirassements n’abritant qu’une seule pièce au lieu de deux. Il existe différentes positions par rapport à cette question. Certains membres de la Section Technique du Génie, ou de celle de l’Artillerie, estiment que la construction d’un cuirassement, qui est un organe coûteux, n’est vraiment rentable que s’il est équipé de deux canons. D’autres pensent que cette solution est néfaste. Pour ces derniers, si une tourelle à deux canons est immobilisée, cela constitue deux pièces qui sont hors d’état de servir. Ils préconisent l’utilisation de tourelles à un canon, mais regroupées en batteries de deux, permettant ainsi à deux pièces de tirer sur des objectifs différents, ce qui est impossible pour les deux canons d’une même tourelle. On décide finalement la construction de cuirassements à un seul canon. Cette question sera définitivement tranchée le 7 janvier 1905. Les Sections Techniques de l’Artillerie et du Génie rédigent un rapport commun, favorable aux engins à un canon de gros calibre. Il faut aussi ajouter ici que les études, sur ce type de cuirassement, sont moins coûteuses.

 

2) Le canon de 120

Pendant ces discussions sur le nombre de pièces par tourelle, le comité des ingénieurs de la Section Technique de l’Artillerie tente de raccourcir le canon de 120 m/m. Les travaux sont lancés à partir du 24 décembre 1900, les premières expérimentations commencent le 3 mai 1902. Le 120 m/m Long est une très bonne pièce de campagne. L’idée d’utiliser ce type de pièce dans la fortification se justifie. De nombreuses pièces de 120 m/m Longs sont encore placées à ciel ouvert dans quelques forts en attendant les modernisations nécessaires. De plus, les Belges et les Allemands ont déjà mis des canons presque analogues sous des cuirassements, les canons de 12cm.

Le 7 mai 1902, le Colonel Lambert, directeur de la Section Technique de l’Artillerie, désigne le Capitaine Florentin pour mener à bien l’étude du raccourcissement du canon de 120 m/m. La pièce raccourcie doit garder les mêmes performances que la pièce normale. Les essais se déroulent sur le polygone de Bourges, où l’Artillerie teste ses nouveaux canons. Le raccourcissement de ce canon pose de sérieux problèmes. Le 10 juillet 1902, devant les difficultés, on renonce à raccourcir cette pièce.

L’Etat-Major reste, à cette époque, obsédé par l’espionnage allemand. L’Affaire Dreyfus, qui a commencé en septembre 1894, a contribué à remettre en avant cette peur des espions à la solde des Allemands. La tentative de raccourcissement du canon de 120 est peut-être une autre illustration de ces projets factices, mis en avant pour intoxiquer l’espionnage adverse. L’abandon rapide des travaux, sur un canon présenté comme très important, peut en effet donner à réfléchir.

 

3) Les canons de 155 m/m

Il existe déjà un canon de 155 m/m Court, obusier adapté aux tirs courbes. Cette pièce est utilisée par l’artillerie de campagne, et quelques-unes sont encore installées dans les forts de 1874. Ce canon a déjà été monté une fois sous un cuirassement, une coupole que nous verrons plus loin. Il n’a pas les mêmes qualités que la pièce longue, car il s’agit d’un type de canon totalement différent. Les Services de l’Artillerie proposent que certains canons de 155 Court soient cuirassés. On décide de construire un cuirassement spécial pour cette pièce, cuirassement dont l’étude est classée " non urgente ".

Plus incroyable est la gestation d’une nouvelle pièce : le 155 Raccourci, ou 155R. Le raccourcissement du canon de 155 m/m Long, est poursuivi à Bourges en même temps que celui de 120. La mise au point de canons raccourcis, va permettre la construction de tourelles plus petites, donc moins coûteuses. Le but étant de conserver les mêmes performances que celles du canon Long.

Les essais se font à Bourges. Le 19 juillet 1902, le raccourcissement est pratiquement obtenu. Chaque fois que ce raccourcissement a progressé, les nouvelles cotes ont été envoyées par la Section Technique de l’Artillerie à la Section Technique du Génie, permettant à cette dernière de réduire de plus en plus les dimensions des nouvelles tourelles. Le 18 novembre 1903, l’ensemble de l’étude est bouclé, le Ministre donne son approbation le 11 décembre 1903. Les études finales des tourelles peuvent commencer pour de bon, on possède maintenant la pièce pour les équiper.

 

B) Les nouveaux engins

1) La nouvelle Galopin

Peu avant la confirmation de la réussite du raccourcissement du canon de 155 m/m, la Section Technique du Génie présente, le 6 octobre 1903, un avant-projet de tourelle pour un canon de 155R, qui reprend l’aspect général de l’ancienne tourelle Galopin pour deux 155L. Le 10 octobre, un deuxième avant-projet, celui ci pour une tourelle à deux canons de 155R, est présenté à son tour. En effet, la polémique sur l’utilisation d’une ou deux pièces, par tourelle, n’est pas terminée. Après le rapport du 7 janvier 1905, déjà cité, favorable à l’utilisation d’une seule pièce d’artillerie, le Ministère décide, le 8 mars 1905, l’adoption définitive de ce principe, ainsi que la construction d’une tourelle éclipsabel pour un canon de 155R.

Le 15 juin 1907, un marché est conclu entre le Ministère de la Guerre et les Usines de Châtillon-Commentry, pour la construction de trois tourelles. Juste avant la présentation de la première tourelle, sur le polygone d’essai des Usines de Châtillon-Commentry, deux nouveaux contrats sont signés pour la fourniture de quatre autres engins. La première tourelle est terminée et présentée le 20 juin 1907. Le modèle définitif est approuvé par le Ministre de la Guerre le 23 décembre 1908.

Cette nouvelle Galopin, qui coûte environ 500.000 francs, 300.000 francs de moins que la tourelle à deux canons, reprend en gros le même système que sa " grande sœur " (Planche LVI et LVII), c’est pourquoi elle porte aussi le même nom. Elle est beaucoup plus maniable, et grâce à un système de chargement rapide du canon, elle peut soutenir une cadence de tir voisine de celle de grande tourelle. La mise en service du canon de 155R, pièce inséparable de la tourelle, a permis la réalisation de ce cuirassement.

 

2) Le retour des coupoles tournantes

Les Français avaient condamné le principe des coupoles tournantes pour deux canons. Le retour à cette idée, mais cette fois pour une seule pièce, est en fait une question de rentabilité. La coupole à un canon est un projet ancien, qui n’a rien à voir avec les gros engins présentés à Châlons. Les Usines de Châtillon-Commentry, parallèlement à leur marché avec Fives-Lille pour la tourelle Bussière, voulaient soumettre aux militaires français une petite coupole armée d’un canon de 155 court, ou 155C. Mais au moment des expériences de Châlons, seul le toit avait été achevé à temps (Planche LVIII). Le reste de la tourelle allait être construit après la fin des expérimentations (Planche LIX). Ce cuirassement est pratiquement passé inaperçu, les militaires n’envisageant pas à l’époque de ne mettre qu’un seul canon dans une coupole ou une tourelle.

En 1889, ce cuirassement est récupéré pour être installé dans une petite batterie isolée, bien défilée, non loin du fort de Lucey, au nord-ouest de Toul. On s’est rendu compte que ce petit cuirassement, moins onéreux qu’une tourelle à éclipse, pouvait rendre de grands services sans pour cela être facile à détruire. S’il s’agit d’une arme de gros calibre, elle n’a pas la même mission que les canons de 155L, mais reprend celle des 155C de campagne, c’est à dire contrebattre les batteries ennemies disposées dans son rayon d’action pour les réduira au silence. Mais ce modèle de coupole ne satisfait pas. La Section Technique du Génie trouve que cet engin est encore un peu trop grand. L’idéal serait une coupole plus ramassée sur elle-même.

Pendant l’étude de la nouvelle Galopin, une étude parallèle a été lancée pour la mise au point d’une coupole tournante, plus petite que celle de Lucey. L’armement va rester le canon de 155C. Comme la mission de cette pièce nécessite simplement des tirs courbes, on peut alors bien cacher la coupole aux yeux de l’ennemi. On n’a pas besoin d’une installation plus compliquée, comme la tourelle Galopin. Les projets connaissent les mêmes problèmes que ceux de la Galopin, tant que le nombre de canons n’a pas été fixé. Le projet définitif, une petite coupole tournante pour un canon de 155C, est approuvé le 8 mars 1905, par le Ministre da la Guerre. Mais la construction de la Galopin mobilise toutes les énergies et une grande partie des fonds de la Section Technique du Génie. C’est donc seulement le 29 mai 1908 que le Ministère de la Guerre décide la construction de coupoles de ce modèle. Le 25 avril 1909, un marché est conclu avec Schneider pour la construction de trois engins. Les essais de la première coupole se déroulent en juillet 1913 au polygone d’essai du Creusot. L’adoption du modèle est confirmé par le Ministre le 2 décembre 1913 (Planche LX).

 

3) La tourelle Gautier

Avant d’évoquer en détail l’usage auquel les militaires destinent ces deux engins, il est intéressant d’évoquer un projet singulier, entouré de mystère. Ce projet, œuvre de la Section Technique du Génie, est conservé dans le fond d’archives du Service des Cuirassements à Vincennes. Le concepteur en serait le capitaine Gautier, personnage qu’aucune source imprimée ne mentionne.

Cette étude démarre en 1894, alors que les premières tourelles Galopin sont en cours d’installation, et elle se poursuit jusque vers 1906. Ce cuirassement n’est mentionné dans aucun livre, ou Cours de l’Ecole d’Application de l’Artillerie et du Génie. Ce fait peut s’expliquer facilement : ce projet, conçu par la Section Technique du Génie, n’ayant jamais fait l’objet d’un marché avec une firme française, a facilement put rester secret. Cette tourelle, qui reprend en partie le système Galopin, aurait été entièrement automatisée : chargement et pointage automatique des canons, mise en batterie et en éclipse automatique. On ne sait pas pourquoi cet engin révolutionnaire n’a pas connu de suite. Il y a plusieurs possibilités : les ingénieurs ont put trouver ce projet irréalisable ou alors beaucoup trop cher. Aucun document n’explique pourquoi le projet a été subitement arrêté. C’est peut-être l’opposition de Galopin, voulant protéger son système, qui est à l’origine de l’arrêt des études.

Une remarque s’impose, les plans de cet engin (Planche LXI à LXIII) sont d’un petit format, à la différence des plans d’autres projets, qui eux sont souvent en plusieurs éléments. De plus, c’est un plan imprimé, et non pas manuscrit. Il est très net, alors que les autres s’efforcent de rester vagues pour certaines parties, afin de cacher des détails. On peut se demander s’il ne s’agit pas d’un projet destiné à tromper l’espionnage allemand, faisant croire à l’existence d’un engin révolutionnaire. Mais comme aucune autre source ne vient nous éclairer sur cette tourelle, cette dernière garde son secret.

 

C) Des forts aux batteries cuirassées

1) La construction des tourelles Galopin

On les destine aux forts des places de première ligne, pour remplir le rôle assigné à l’origine à des tourelles Galopin à deux canons. La Commission des Places Fortes, créée le 4 février 1899, doit moderniser les forts des places les plus importantes. La priorité est donnée aux quatre grandes places de l’Est : Verdun, Toul, Epinal et Belfort. Les trois premières tourelles sont installées dans trois grands forts de Verdun : la n°1 à Douaumont, au nord-est de la ville, la n°2 à Moulainville, à l’est, et la n°3 au Rozelier, au sud-est. Ces tourelles sont achevées en 1910. La tourelle n°6 est placée au fort de Roppe, au nord-est de Belfort, la n°7 au fort de Dogneville, au nord d’Epinal. Les tourelles n°4 et n°5 sont destinées au plateau de Lucey, mais leur implantation pose quelques problèmes, que nous verrons plus loin.

Dans le cadre de la modernisation du système de défense, on renforce les forts les plus importants par l’adjonction d’une tourelle de 155R, qui remplace efficacement une batterie de quatre 155L à l’air libre. Le choix de Verdun pour les trois premiers engins s’explique par le fait que cette place se trouve juste en face de Metz. Verdun pourrait servir de point de départ à une attaque française dans ce secteur et de barrière à une attaque allemande vers la Meuse.

La mission de ces pièces est de participer à la défense éloignée, ainsi qu’à la lutte d’artillerie. Une position dominante leur permet de tenir ces missions. Leur prix, moins élevé que pour les tourelles de 1892, permet d’espérer une diffusion plus importante. En fait, entre 1910 et 1914, cinq tourelles supplémentaires sont construites et aptes à servir.

 

2) Les batteries de Lucey

A Lucey, au nord-ouest de Toul, on crée une organisation originale pour placer les tourelles n°4 et n°5 sur le plateau. Ces deux engins sont placés à l’extérieur du fort. Ce dernier est de forme carrée, et son centre est occupé par une tourelle en fonte dure. Il n’y avait plus de possibilité d’y placer une tourelle de la taille d’une petite Galopin. Cette batterie extérieure est placée sous le commandement du fort. Elle est reliée à ce dernier par un couloir de liaison souterrain. Ces deux tourelles peuvent tirer en même temps dans des directions différentes, voire même opposées. Elles peuvent aussi, très rapidement, concentrer leurs tirs sur un seul et même objectif. Cette disposition est très intéressante, elle coûte environ un million de francs, soit 200.000 francs de plus que la tourelle Galopin à deux tubes, mais est plus efficace que cette dernière. Cette idée de placer ainsi des batteries à deux tourelles à éclipse va être étendue à l’ensemble des quatre places de l’Est concernées par la modernisation. Cette construction est moins coûteuse que celle qui tend à implanter les tourelles dans le fort même. Placée juste à côté de ce dernier, la batterie continue de bénéficier du site exceptionnel occupé par le fort. Les batteries à ciel ouvert, que l’on a commencé à installer dans les intervalles, au moment de la crise des armements, sont beaucoup plus éloignées des forts.

Le plateau de Lucey a déjà fait l’objet d’une innovation de ce type, avec l’installation, dans une batterie isolée, de la coupole à un canon de 155C. Cette batterie (Planche LXIV) est une organisation très simple nécessitant un personnel peu nombreux. La coupole tournante est bien défilée et peut défendre un secteur important : les abords du plateau où se trouvent les forts de Lucey et de Trondes. Cette batterie va servir d’exemple à une nouvelle conception, parallèle aux batteries pour deux tourelles de 155R.

Les pièces de 155C n’ont pas les mêmes capacités que les 155R, ni les mêmes missions à remplir. Leur rôle est de faire du tir courbe, du tir plongeant. Pour qu’elles soient mieux défilées que les batteries pour 155R, il faut par conséquent qu’elles soient plus éloignées des forts, placées en contrebas de ces derniers.

 

3) Vers une nouvelle fortification

Les tourelles Galopin de 155R ont servi à moderniser des forts importants. Le 24 février 1910, la Commission des places fortes décide d’en implanter un grand nombre en batteries extérieures (Planche LXV) pour renforcer encore plus certaines positions. Cette mesure est étendue, peu après, aux batteries pour coupoles de 155C (Planche LXVI), aucune coupole de 155C sera installée dans un fort. La première batterie pour deux coupoles de 155C est construite à côté du fort de Longchamp, au nord-est d’Epinal. Elle est reliée au fort par une longue galerie de liaison. On crée donc des grands forts, dont certains éléments sortent de l’enceinte du fossé, pour se disperser dans les abords de l’ouvrage. Cette modernisation se fait en réutilisant les anciens forts de 1874.

Les Allemands développent, pendant cette période, le système des Festen, lesquelles comprennent un fort central et des batteries annexes. Les batteries sont cuirassées et équipées de trois à quatre coupoles pour un canon de 10cm, ou un canon de 15cm. Elles sont reliées au fort central par des galeries souterraines. L’ensemble de la Feste (Planche LXVII) est entouré par des positions d’infanterie. Les Français suivent la même voie avec quelques années de retard. Les Français se sont efforcés jusqu’à ce jour de produire des cuirassements de meilleure qualité, alors que les Allemands sont restés fidèles aux conceptions de Schumann, prenant le risque d’utiliser des cuirassements moins coûteux mais plus fragiles.

Les Festen allemandes à Metz, Thionville, Mutzig et Istein ont été construites sur des terrains vierges de toute fortification. Les Français, comme on l’a vu précédemment, devaient tenir compte des forts de 1874. S’ils ont développé une fortification " offensive " avec des pièces de 155m/m sous cuirassement, la défensive n’a pas été négligée pour autant. Les vieux forts ont été transformés en abris, en réduits de la ligne principale de défense. Dans les quatre places de l’Est, Verdun, Toul, Epinal et Belfort, ainsi qu’à Maubeuge et à Lille, la plupart des forts ont été rebétonnés, et modernisés. Les places de Lille et de Maubeuge n’ont pas été concernées par les nouvelles tourelles et les batteries extérieures pour canons de 155m/m. On vient de voir l’installation dans ces ouvrages de cuirassements de gros calibre, mais parallèlement ont été développés toute une série de petits cuirassements, qui sont beaucoup plus représentatifs de la nouvelles fortification construite de 1892 à 1914. Les tourelles et les coupoles à canons de 155m/m, dont on vient de voir l’évolution, ne sont qu’une partie de ce nouveau système.



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