Extraits du carnet de guerre de M. André Houdebine, du 165e R.I.F.


Juin 1940 dans les Vosges du Nord

Extraits du carnet de guerre de M. André Houdebine, du 165e R.I.F.

Prisonnier !!!

Remontons, si vous le voulez, jusqu’au 11 Juin, départ de toute cette longue équipée.

11 Juin :

Je suis en Alsace, à Windstein précisément ; un petit blockhaus fait de nos mains dans une ferme évacuée. Aux dires de notre sergent « il fera face à toute épreuve », Est-ce vrai ? Nous ne le saurons jamais …

13h30 : Les évènements se précipitent à la radio, que de mauvaises nouvelles : les allemands filent toujours vers Paris. Et nous, nous restons là, inactifs, j’enrage.

18h30 : Toujours l’avance ennemie ; ils sont aux portes de Paris. Ici, tout Est calme mais tout le monde Est énervé ou espère encore un Gallieni moderne, viendra-t-il ?

21h : Je me couche sur mon grabat de paille poussiéreuse avec à mes côtés ma petite chienne Chouquette et je me sens moins seul ; je m’endors aussitôt car je suis de faction à 2 heures du matin.

23h : Mon sommeil Est troublé par le bruit caractéristique du fusil mitrailleur, mais je n’y apporte aucune attention car il nous arrivait souvent d’entendre son roulement la nuit .

23h10 : Je ne puis plus refermer l’œil, les bruits d’éclatement de grenades se sont joints à celui du FM. Dans notre cambuse, cela remue un peu, on entend des grognements : « Vont-ils arrêter leur musique, qu’on souffle un peu » ou « Ils commencent à nous faire chier (sic) avec leur moulin à café ». Le sergent  s‘éveille et presque aussitôt on entend le fracas de notre 155 qui Est à 2 kilomètres de nous et les arrivées qui semblent très rapprochées.

Il Est maintenant 23h15,  c’est le branle-bas complet. Plusieurs s‘assoient sur leur tas de paille et de chiffons qu’est le lit du troupier. Le sergent Est levé et demande quatre volontaires pour aller avec lui ; je suis le premier, il en faut trois autres. C’est un peu dur de sortir de son fouillis mais enfin nous sommes quatre ; en vitesse, la veste, des cartouches et le fusil et l’on part. Dehors, toujours les bruits plus distincts cette fois et des éclairs dus au départ du 155 ; c’est splendide et affreux à la fois ; enfin, des ordres du sergent, nous faisons le tour des barbelés, nous délibérons : qu’est-ce ? Selon toute vraisemblance, c’est le seul poste qui reste devant nous : le Wittschlössel Est attaqué.

Hypothèse sur hypothèse, nous décidons d’aller nous coucher, c’est le mieux à faire. J’ai bien un peu de peine pour les 30 camarades qui sont là-haut mais demain, ne sera-ce pas notre tour ? c’est la guerre !

12 Juin :

2h du matin : Je prends ma faction avec ma Chouquette qui ne me quitte pas, elle se contente d’aboyer à chaque coup de canon, mais je n’y attache aucune importance car le danger n’est pas imminent.

4h : Je vais me coucher, tout Est plus calme, on entend par ci par là une rafale mais ce n’est rien à coté du vacarme de tout à l’heure.

6h : Tout le monde debout ; les deux camarades, qui étaient restés couchés, demandent des nouvelles. Comme nouvelles : rien, nous ne savons rien nous-mêmes.

6h15 : Le café Est bu comme les jours passés mais après, au lieu de se mettre au travail, nous discutons. Et de la discussion, jaillit la lumière, mais je vous assure que cette fois-ci, il n’est Est rien sorti.

8h : Un homme en arme vient prévenir que je suis mandé d’urgence au P.C. avec pour équipement : cartouchière garnie, arme et capote, casque, masque et c’est tout.

Je questionne : pas de détails ; je mets l’équipement prescrit et je pars.  La Chouquette Est retenue par un camarade car elle ne veut pas me laisser partir seul. J’ai juste mon portefeuille sur moi, un peu d’argent et pas de tabac ; je suis parti sans réfléchir , mais je me dis : cela ne va pas être long.

8h15 : Au P.C., je sais de quoi il retourne : la petite démonstration de la nuit a coûté 2 morts et 6 blessés au Wittschlössel et je suis désigné étant FV (Fusiliers et Voltigeurs) pour aller les remplacer ; je vous avoue franchement que je n’ai pas peur, au contrair , depuis longtemps j’avais envie de me battre, c’est de la bestialité, mais qu’importe, ne sommes nous pas là pour çà ?

8h30 : Mon camarade Henrique arrive, c’est un gars de mon ancienne compagnie et je suis heureux qu’il soit du voyage ; lui aussi Est embêté de n’avoir pas pris les affaires nécessaires (tabac, linge et toutes autres babioles), mais il se console car on doit redescendre dans 4 jours. Nous discutons avec les gars qui ont passé la nuit à se battre. Ils sont tous fatigués et peureux d’y remonter sauf 3 ou 4 copains qui ont du cran et qui espèrent venger les morts.

La discussion dure très longtemps, on s’énerve et pas moyen de redescendre chercher les affaires. Enfin, le lieutenant arrive, c’est un chef qui me connaît bien car nous avons eu une histoire ensemble ; aussitôt, il me met un fusil-mitrailleur dans les mains ; je l’examine, contrôle le fonctionnement et nous sommes prêts, nous arrivons à avoir un peu de tabac mon ami Jean et moi, vous pensez si on Est contents.

Maintenant, je n’ai plus conscience du temps, il Est peut-être dix heures quand le chef de file arrive ; c’est un aspirant un peu froussard mais gentil quand même car quand on le contredit, il accepte.

Tout Est prêt, il prend connaissance des hommes et des consignes.

A peu près 10h30 : Départ, les trois groupes se forment et le lieutenant me dit en partant : « Surtout Houdebine, tire bien et à bon escient » et nous partons comme des bohémiens, en désordre. Le chemin des bois que nous empruntons n’est pas favorable pour marcher en rang et puis, après tout, pour aller à la boucherie Est-il besoin de marcher par trois ?

Vers 11h, nous arrivons au carrefour de Windstein pour y recevoir des ordres du capitaine. Avant cette formalité, une autre plus pressée : le casse-croûte ; la roulante arrive et Est aussitôt assiégée par 30 bouches et 60 bras avides, car vraiment, nous avons faim. Nous mangeons tant bien que mal sur une croûte de pain et surtout nous buvons beaucoup de « pinard » pour tenir le coup.

Ce petit repas fini, vite aussitôt rassemblement et revue par le capitaine. Déplorable la revue, il crie parce qu’il nous manque tout et vous savez que ce n’est pas notre faute .

Enfin, le départ. Assez gai ce départ, des camarades nous saluent en passant ; ils ont l’air bien tristes, Est-ce pour eux ou est-ce pour nous ?

Le chemin Est très long et très mauvais, le soleil monte et nous cuit à moitié, surtout après un repas, et même pas un bidon pour se désaltérer.

Vers 13 h : Arrivée à Maison du corps franc où se trouvent encore quelques copains qui eux aussi veulent y retourner ; donc , il y a trop de monde.

Chaque chef de groupe inscrit des noms au hasard, ceux qui se présentent .

J’insiste sur ce point car c’est là que se joue une partie de ma destinée, partie que je ne savais pas si grande !

Donc, je disais, ils s’inscrivent et déjà beaucoup de gars se sont mis à l’écart par peur ou par sagesse, qu’en sais-je ?

Je suis en ce moment en train de « baratiner » mon ami Jean qui lui ne sait que faire. Et avec de bons arguments, je réussis à l’embarquer ; je lui disais ainsi « Maman m’a dit que j’avais une bonne étoile, donc suis là, tu verras » et nous voilà inscrits tous les deux .

Nous reprenons la « route » aussitôt car il ne faut pas arriver trop tard pour s’installer pour la nuit. Ensuite, nous croisons un colonel et un commandant qui sont très gentils avec nous.

Vers 15h , arrivée sur les emplacements avec beaucoup de précautions, bien entendu.

Là-haut, nous trouvons les gars du corps franc qui nous cèdent la place aussitôt.

Un tour d’horizon et nous redescendons de 300m pour chercher des munitions ; je crois que nous aurons assez de munitions car il y en a au moins pour un régiment.

Après, nous allons voir les dégâts de la nuit passée.

Première chose : 2 casques défoncés et percés à coté des débris de cervelle ; à dire, ce n’est rien, mais à voir, c’est odieux .

Le tour de garde Est fait et chacun prend sa place. Il pleut très fort maintenant et nous sommes traversés ; enfin, personne, sauf notre lieutenant, n’a peur et la nuit arrive vite (Nous mangeons un brin, nous buvons deux ou trois quarts de rouge) et l’embarras pour trouver une place ; il pleut partout et avec la grêle d’obus de la nuit les abris sont de vrais passoires.

Nous prenons, mon ami Jean et moi, la garde sous la pluie jusqu’à 10h et après de 4 à 6. Donc, vers 10h45, ils pensent quand même à nous relever. Un peu de mal pour trouver des places, enfin on s’entasse tant bien que mal sur un grabat avec nos capotes toutes trempées, mais la fatigue aidant nous trouvons quand même le sommeil.

11h30 : Je dormais vraiment bien quand j’entendis le FM et les grenades et des cris « alerte » . Sans attendre, tout le monde se lève en grognant quand même.

On cherche ses affaires, des balles ; enfin on sort du gourbi. Les grenades éclatent juste devant la porte, c’est vous dire si l‘on se dépêche de regagner notre coin de combat.

Ceci dure une heure environ et après, calme plat.

Nous restons en faction tout de mêm , mais plus rien ne vient.

Une chose aussi : c’est qu’avec cela le tour de garde Est bouleversé si bien que l’on reste, nous deux, jusqu’à 4 heures du matin ; après, nous prenons un repas bien gagné.

13 Juin :

Dans la matinée, corvée d’eau. J’avoue que je la maudissait cette corvée d’eau mais c’était nécessaire.

Après : café, et puis déjeuner : des haricots et c’est tout, quelle nourriture !!!

Dans l’après midi, un ordre par téléphone : se replier de suite. Et toujours pas de détails.

Enfin, nous faisons de notre mieux, nous nous armons jusqu’aux dents et le reste des munitions on l’enterre pour qu’il ne serve pas à l’ennemi.

Et après un route pénible et dangereuse , nous arrivons à la Ferme de Corps Franc .

Là, nous attendent 2 lieutenants et une effarante nouvelle : le régiment s’en va demain et nous restons, avec une section qui Est à coté, pour assurer le repli .

Enfin, contre mauvaise fortune, bon cœur, on se réjouit de dormir dans une maison.

Les cuistots sont désignés ; moi je reste dans l’ombre car comme je l’ai dit, j’en ai assez de la cuisine, je veux me battre.

Le tour de garde commence aussitôt.

Nous mangeons tant bien que mal et après : au lit. Je dégote un petit canapé à coté de mon ami Jean. Et ainsi installés, on cherche le sommeil, il arrive. Dans la nuit , les cris d’alerte nous réveillent encore ….

Je vais maintenant retracer seulement les faits dans le plus strict résumé car ici je n’aurais jamais assez de papier pour mes mémoires .

14 Juin :

Rien de neuf, toujours cette affreuse baraque si mal située.

Nous allons relever une section qui Est devant nous ; tout se passe bien jusqu’à leur nouveau poste mais au retour nous essuyons des coups de fusil ; personne n’est blessé.

15 Juin :

Dans l’après-midi, ordre de repli immédiat.

Bonne affaire, tout le monde Est content, nous deux Jean et moi parce que l’on a plus de tabac. Hier et aujourd’hui , nous avons fumé des feuilles de cerisier.

C’est le branle-bas de combat général, tout le monde s‘apprête et dans la soirée nous partons non sans avoir préparé, avec le gros des munitions, un petit feu de joie ; on détruit tout le pain, la graisse (25 kg).

Et nous voici partis ; nouvelle idiotie de nos chefs, avec des brouettes chargées de munitions et des musettes de grenades ; cette lourde charge nous fatigue si bien que nous laissons tout en route.

Vers 22 heures, nous arrivons à la casemate de Windstein, tous éreintés.

Aussitôt sur place, nous nous déséquipons et nous buvons de la bière ; un camarade me fait cadeau d’un paquet de cigarette, quelle aubaine !!!

Et là aussi, m’attend une lettre que je ne croyais jamais recevoir : c’est de maman . Quelle chance, cela me remet un baume dans le cœur.

Vers 23 heures , on demande des volontaires pour aller relever la section que nous avions relevée le 1.

Tout le monde Est fatigué, donc je me décide et décide Jean, notre caporal Brassard que je n’oublierais pas de sitôt, et un sergent « Martin ».

Je prends le FM selon mon habitude ; enfin ceci dure jusqu’à 2 heures 30 le matin et aucun résultat, nous revenons bredouille aux insistantes prières de Jean qui a froid.

16 juin :

4 heures : Départ pour Niederbronn .

Nous allons soi-disant rejoindre le régiment. Donc, inutile de vous dire : malgré notre fatigue on marche bon train.

Je jette un dernier coup d’œil sur notre belle ligne Maginot et je dis à Jean « Avoir fait tant de choses pour en arriver là ».

Nous arrivons à Niederbronn vers 5 heures.

Aussitôt, j’avise une fontaine pour me laver et bientôt passent des civils en vélo ; ils nous annoncent une nouvelle des plus fantaisistes, voici :

« L’Amérique et la Turquie sont en guerre contre l’Allemagne »

Nous ne tenons plus de joie.

La matinée se passe à faire la queue au boulanger et à boire quelques verres au seul café qui Est ouvert.

Midi, et la section que l’on attend pour partir n’est toujours pas arrivée.

Notre chef s’est débrouillé pour nous faire manger chez les civils ; tant mieux car nous mourons de faim. Un assez bon repas nous est servi et à l’issue de celui-ci nous sommes tous en forme.

Vers 3 heures, il faut un agent de transmission pour aller à la casemate de Windstein .

Tout le monde digère son repas à sa façon : les uns dorment, les autres se promènent.

Et c’est encore moi qui me dévoue .

Un vélo Est vite trouvé, une lettre dans la poche et je pars.

A la casemate, j’apprends les choses que voici :

1 - Les allemands ont fait une reconnaissance à environ 50 hommes.

2 - Le chef de casemate veut que nous revenions sur la ligne.

Enfi , après avoir attendu maints et maints coups de téléphone, je repars sous une pluie battante ; le chef me donne un imperméable que je devais traîner longtemps. la suite en fera preuve.

J’arrive trempé jusqu’aux os à Niederbronn avec le mot du Lieutenant de la casemate.

Et ma foi, comme c’est un ordre de retour, nous ne pouvons pas faire autrement.

Je bois quelques verres de vin, pour me remonter, que m’offrent généreusement les civils et mes copains car ils voient bien qu’une fois de plus j’ai fait de mon mieux.

«Tout le monde m’estime, mais je sais bien que je fais beaucoup pour mériter leur Estime»

Enfin, nous repartons. La pluie a cessé et dans la soirée nous arrivons sur les emplacements.

Chaque groupe a un abri et, ma foi, je crois que nous avons encore le plus mauvais ; et la nuit se passe tant bien que mal entassés les uns sur les autres.

17 Juin :

Le matin, il y a un ravitaillement à faire et comme de juste, c’est encore notre groupe qui le fait ; je n’en suis pas mécontent car cela va me permettre d’aller faire un tour à la ferme pour voir si mes habits et papiers y sont toujours.

Donc, nous marchons avec précaution car l’ennemi n’est pas loin et dans les endroits découverts nous courrons comme des lièvres (cela ne devait pas nous empêcher d’être vus), on s’en aperçoit par la suite.

A l’endroit qui me semble favorable, je quitte le groupe pour aller à la ferme non sans avoir pris un camarade de la section occupante pour m’accompagner.

A l’aller, tout va bien, nous passons sous les barbelés et un tas d’autres ruses de guerre car je n’ai aucune envie de prendre un bout d’acier dans la carcasse.

A peine aborde-t-on la ferme que des obus commencent à pleuvoir ; quelle surprise, je vous avoue que je ne m’y attendais pas et ils tombaient si près !!!

Enfin, je saute dans la tranchée, puis vais à l’abri sous la ferme, mon compagnon Est cramoisi.

Sous ce carnage, je vais dans Maison espérant toujours remettre la main sur mes affaires, mais chose désolante, il ne reste plus rien du tout sauf le cache-nez que maman m’a tricoté cet hiver ; il fait très chaud mais j’y tiens et je l’emporte.

Je redescends dans l’abri et, par le créneau, je vois très bien les arrivées d’obus.

Le spectacle Est assez plaisant mais il faut que je parte et, après maints efforts, je décide mon homme à venir rejoindre son groupe.

Nous partons au petit bonheur, mais je tends l’oreille et comme j’ai l’ouie très fine, j’entends tous les départs, donc rien de plus facile que de se coucher à terre aussitôt ; c’est ce que nous faisons beaucoup de fois et dans n’importe quoi : on ne regarde pas à salir ses vêtement.

Enfin, après avoir reconduit mon gars à sa place, je continue tout seul et, à l’endroit où j’avais laissé mes camarades il n’y a plus personne. Je ne sais que faire et je me décide de rejoindre la section, c’est le plus sage. Après beaucoup de gymnastique, j’y parviens quand même.

Je comptais vraiment retrouver mon groupe en arrivant mais j’arrive le premier et je m’explique de mon mieux.

Après une bonne heure d’attente, ils arrivent en me houspillant un peu car ils ont beaucoup cherché après moi.

L’artillerie s’est calmée et nous cassons la croûte en toute quiétude.

L’après-midi, il faut un groupe pour aller à Jaegerthal surveiller et comme de juste c’est encore nous qui y allons ; enfin, cela ne nous déplait pas car il y a le jardin du Baron De Dietrich et c’est le temps des cerises et des fraises.

Nous partons dans l’après-midi et aussitôt arrivés nous occupons une ferme à coté du pont.

Dans le foin nous jetons çà et là nos balles et aussitôt nous arrangeons le campement.

Mais vite la soirée arrive et le tour de garde Est une fois de plus distribué .

18 Juin :

La première nuit se passe avec un calme surprenant et, dès le matin, nous allons nous laver et cueillir des fraises ; cela remplace le café car nous n’avons aucune cuisine.

Dans la matinée, un homme, que l’on traite de fou, nous annonce que les allemands sont derrière nous ; nous ne faisons pas attention à ces soi-disants cancans.

Plusieurs civils veulent à tout prix forcer la consigne et aller voir l’avant, même à certains moments, nous avons dû employer la force pour les empêcher de se faire tuer.

L’après-midi, nous allons à quatre visiter l’ancien P.C. et j’ai bien mal au cœur en voyant l’état d’abandon dans lequel Est ma chère cuisine où j’ai passé huit mois de la guerre à nourrir les officiers.

En rentrant, notre caporal qui, je crois, a pris en considération le nouvelle de l’homme du matin veut absolument que l’on change de place.

Nous cherchons dans le village quelque chose d’adéquat à notre situation.

Dans la tournée, Jean et moi trouvons une bouteille de Cognac et une de Kirsch.

Enfin, notre cabot jette son dévolu sur un ancien couvent de sœurs.

Déménagement, et, aussitôt, nous nous occupons du repas du soir car le midi nous avons mangé de l’air.

Quelques boîtes de singes, de la salade qui montait dans tous les jardins, des radis de la même provenance et des cerises que j’ai eu au risque de me rompre le cou.

Enfin de compte, avec un peu de goût, j’ai réussi à faire pour mes camarades un repas, non pas somptueux, mais potable, le dernier du nombre ; nous nous en sommes aperçus plus tard.

Après le repas, nous avons installé les couchettes : un peu de paille et les affaires à portée de main.

La nuit tombait, dernière nuit de guerre comme tu m’a fait rire et trembler à la fois .

Le tour de garde Est encore une fois fait à l’aveuglette.

Le caporal Est prudent ; pour cette nuit nous prenons la garde à la fenêtre.

«Oh, opportune précaution qui a sauvé la vie à mon cher camarade. Mon vieux Brassard, je t’en remercie de tout cœur»

La garde se prend, un homme à la fenêtre pour surveiller la route ; au début, tout paraît calme.

Je prends mon quart et tout Est tranquille.

Il Est 10 h 45 environ, Jean Est de garde. Quand, tout à coup, des éclairs illuminent la pièce avec un fracas indescriptible. Tout le monde Est réveillé ; une salve de dix obus vient de tomber devant la maison …

Tout le monde se rue vers la cave …mi inconscient, mi éveillé, mais personne n’en mène large.

Après un beau chahut, tous sont réunis dans la cave ; chacun cherche une place car l’arrosage continue. L’alcôve qui se trouve sous l’escalier semble être le plus sûr abri, tout le monde s’y rue. Si bien que je me trouve entre un camarade Martel qui tremble comme une feuille et le premier jus qui, lui, n’a pas trop peur .

Dans la nuit, les boches reviennent six fois à la charge et après beaucoup de peur de Martel qui avait perdu son casque, le jour se lève enfin.

Quel plaisir de revoir le jour après quelques nuits d’insomnie, on se croit tombé dans un monde nouveau …

Notre cabot, qui n’a pas froid aux yeux, sort de la maison avec un drapeau blanc, car il croit que les Fritz ont occupé je village pendant la nuit ; mais il n’en n’est rien.

Et nous rejoignons tant bien que mal notre P.C.

Au P .C., rien de changé, tout le monde attend ; le lieutenant nous dit que l’armistice va bientôt être signé.

Nous buvons un peu de café et grignotons quelques biscuits.

Sur l’ordre du lieutenant, nous allons nous coucher dans un petit abri.

Après une petite accalmie, le bruit recommence, mais cette fois cela ouvre la faible porte de notre abri.

Ce sont des torpilles d’avions qui tombent sur les casemates.

Avec Jean, je sors pour voir ; et drôle de spectacle, je vois des avions allemands qui piquent et lâchent leurs bombes.

A partir de cet instant, nous ne pensons plus ; tout le monde a compris que c’est fini, mais nous nous ne savons pas encore de quelle manière pour nous .

Enfin, dans le demi abrutissement de ces heures odieuses, l’après-midi arrive.

Tout le monde doit aller à l’abri du P.C. 6 et je vous assure qu’il n’y a pas de traînards.

On attend on ne sait quoi, certains sont sur leur lit abrutis par l’alcool éthéré , d’autres sont énervés par l’arrivée de l’heure suivante, mais tous en ont assez.

Vers 2 heures de l’après-midi, un blessé arrive ; c’est notre camarade Florence qui a reçu des éclats d’obus dans la cuisse et à l’estomac. Le lieutenant, qui commande tout de même, envoie quatre camarades avec un brancard de fusils pour porter le blessé à Reichshoffen.

Ici tout le monde Est contrit de se voir ainsi en pleine bagarre à cinq kilomètres de tout soin.

Il n’y avait pas 30 minutes que le brancard était parti quand un soldat allemand, qui avait à peine 18 ans, Est venu nous faire rendre les armes.

L’ordre a passé de bouche en bouche et tous nous avons laissé nos armes par terre, n’importe où.

Là, je suis parti comme un fou, je n’avais pas encore compris la situation.

Prisonnier … Prisonnier

Je ne comprenais pas, j’étais abattu.

Revenant tous en groupe, sur la route les ennemis nous ont rendu les honneurs.



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