L’engagement de Drusenheim du 18 Novembre 1939


Rapport du Lieutenant METZINGER, Commandant la CEO 1, au chef de bataillon commandant le 1er bataillon du 70ème RIF.
19 Novembre 1939

J’ai l’honneur de vous rendre compte que, prévenu par le colonel Commandant le 70ème RIF que deux trains de péniches descendaient le Rhin à 13 h 55 et ayant reçu l’ordre de les couler à tout prix, j’ai fait donner au passage de ces trains toutes les armes des trois ouvrages de berge et le canon de 37 situé sur la berge derrière la casemate nord. Une partie des armes des casemates a exécuté un tir de neutralisation sur les ouvrages allemands qui ont ouvert le feu dès que nos armes ont commencé à tirer sur les péniches.

1.Tir sur les péniches

Le premier train de péniches est apparu dans le champ de tir des ouvrages vers 15 h10. Les casemates ont ouvert le feu avec leurs jumelages de 7,5mm, mitrailleuses de 13,2mm et mortier de 50mm, ainsi que le canon de 37mm tirant à obus explosifs et perforants, sans utiliser la lunette de pointage, cette dernière étant déficiente.

1.1.Tir des casemates

Le tir des jumelages s’est révélé extrêmement précis, aucun incident de tir n’a été signalé concernant les mitrailleuses de 13,2 et 7,5. Seule la consommation de munitions de 13,2 a montré que la dotation de 1024 cartouches par arme était nettement insuffisante. J’ai été obligé d’arrêter le tir lorsque les ouvrages avaient tiré la moitié de leur dotation. Les jumelages de 7,5 ne perforent pas la tôle des péniches, par contre la balle de 13,2 pénètre facilement et les péniches après le premier tir, baissaient sensiblement de niveau et coulaient lentement. J’ai donné l’ordre de cesser le feu à 15 h 40.

Le deuxième train de portières s’est présenté vers 16 h 10, les ouvrages ont ouvert le feu dans les mêmes conditions que la première fois. Les constatations faites ont été les mêmes et le deuxième train de péniches, constitué par une portière de deux bateaux s’est arrêté à 20 mètres de la rive allemande et 30 mètres au sud de la tête de pont allemande. Il coulait lentement.

1.2.Tir du canon de 37

Le canon de 37 servi par le lieutenant METZINGER comme pointeur et le soldat AMAGAT de la CEFV 1, comme chargeur, a tiré dès que les portières se sont présentées à 800 mètres du canon. Le tir a été effectué sans la lunette de pointage dont le réticule était invisible. Sur 48 obus tirés en tout sur les deux trains de péniches, 7 obus ont porté sur le premier train et 8 obus ont porté sur le second train. Le tir effectué était assez difficile à régler dans les conditions précédentes.

J’ai constaté que les obus explosifs (7 ont porté en tout), lorsqu’ils arrivaient à la tôle même des péniches ne pénétraient pas, les éclats revenaient en arrière. Ces obus ont surtout eu un résultat lorsque les coups ont porté sur le haut des bordages et le dessus des péniches. Les obus perforants, par contre, traversant les péniches de part en part et vont taper sur la rive allemande.

2.Tirs des ouvrages allemands et tirs de neutralisations de nos casemates

Dès le début du tir sur les péniches, les ouvrages allemands ont riposté en prenant comme objectifs principalement les cloches de nos casemates, les créneaux et le canon de 37. J’ai donné l’ordre d’alterner les tirs de neutralisation en particulier avec le FM de cloche et les 13,2 les créneaux des ouvrages allemands. Les mortiers de 50 sont également entrés en action.

Le tir des FM de cloche s’est révélé extrêmement précis sur les créneaux des ouvrages allemands, en particulier sur les créneaux des ouvrages 80 et 17, ces créneaux présentant des dimensions d’environ 35cm sur 25cm ont été désarmés en très peu de temps, au bout de 10 minutes environ. Les cloches de ces ouvrages à la fin du premier tir étaient complètement abandonnées, créneaux grands ouverts, comme je l’ai constaté personnellement. Or, elles n’étaient justiciables que des FM de cloches et du canon de 37, deux obus de ce dernier calibre ayant explosé à la base de l’ouvrage 17. Il n’a pas été possible de régler le tir. Les munitions de 37 étant épuisées. Cependant, un troisième projectile ajusté dans le créneau faisant face à la casemate nord a partiellement démoli ce créneau (obus de rupture). En effet, aucune arme n’a été remise en place ce matin, 19 novembre, dans le créneau resté béant.

Les jumelages de 7,5 et les mitrailleuses de 13,2 ont pris à partie les créneaux des ouvrages allemands, en tirant toujours sur les créneaux et en prenant de biais les arrêtes de ces créneaux. En prenant de biais les arrêtes de ces créneaux, il a été possible de détacher des plaques de 30 à 40cm de diamètre et de 10cm de profondeur environ des ouvrages 758 et 574 ; les balles ont d’ailleurs pénétré dans les créneaux de ces ouvrages, mais il est difficile de se rendre compte du résultat à l’intérieur de l’ouvrage même, en tout cas pour les deux ouvrages cités, le tir a cessé instantanément. Les écorchures infligées au béton allemand qui atteignent parfois 15cm de profondeur (ouvrage 574) proviennent du fait que le béton est très humide, comme on peut le constater avec une binoculaire grossissant 12 fois.

J’ai l’impression que le tir à obus explosifs de 37 permettrait de nettoyer complètement l’intérieur des ouvrages allemands ; les créneaux ne comportant pas de protection contre les projectiles.

Sur les cloches des ouvrages allemands, les balles n’ont pas eu de résultat apparent, le métal semble très résistant. Par contre dans un créneau de l’ouvrage 17, le FM de cloche de casemate nord a tiré 6 coups, coup par coup. Au sixième coup, l’arme automatique qui tirait de ce créneau s’est tue, et le créneau a été inutilisé jusqu’à la fin des tirs.

Le périscope de la cloche de l’ouvrage 80, périscope très gros et très visible a volé en éclats sous une rafale de FM. Ce fait donne à penser que si les ouvrages possédaient une arme à lunette tirant coup par coup et s’adaptant dans la rotule du FM, il serait possible en économisant des munitions de démolir systématiquement tous les instruments d’observation ennemis.

Un obus de mortier de 50 de la casemate nord a nettoyé complètement un poste d’observation et des travaux ennemis qui se trouvaient au PKA 318,850.

3.Une remarque importante à propos du matériel dont sont dotées les casemates de berge :


3.1.Mitrailleuse de 13,2mm

Cette pièce est mal fixée dans le créneau, elle se cabre trop en cours du tir, il est nécessaire au lieu de s’appuyer en poussant sur les épaulières, de se coucher littéralement sur elle pour obtenir que l’arme reste à peu près fixe. La lunette est très bonne.

3.2.Jumelage de 7,5mm

Ces jumelages sont bien réglés et très bien fixés dans les créneaux de tir, les servants en sont très satisfaits.

3.3.Mortiers de 50

Ces mortiers se sont révélés très vulnérables, le mortier de la casemate nord et celui de la casemate sud ont eu dès le début du tir (10 minutes) leurs tubes traversés par une balle perforante allemande. De plus, le mortier de la casemate Sud s’est enrayé et la culasse s’est déverrouillée au départ du coup et est venue frapper violemment à la poitrine du Sergent GEYER, chef de casemate qui tirait avec cette arme (accident dû probablement à l’obturateur).

3.4.FM de cloche

Les FM de cloche se sont révélés précis, fonctionnant bien, mais la rotule support de ces FM fut une source d’accident (3 blessés légers et blessé grave). La fente de visée de la rotule a laissé passer en effet des éclats de balles et une balle (le verre, genre triplex, qui constitue la glace de visée ne résistant pas au choc et volant en éclats).

De plus, le bloc en duralumin de la casemate sud se déchire sous l’action des balles perforantes allemandes, et de ce fait a été rendu hier insuffisant (3 balles allemandes ont porté).

4.Résultat des tirs sur les péniches allemandes

Le premier train de 7 péniches a eu 3 péniches touchées, deux de celles-ci auraient, parait-il, coulées en face de POI.

Le second train, profondément touché a été coulé et s’est enfoncé dans le Rhin à 20 mètres de la rive allemande et à 30 mètres au sud de la tête de pont allemande.

Ce matin, j’ai constaté que seul le bout de deux péniches était apparent, de plus une portière du Pont de Drusenheim qui se trouvait à la tête de pont allemande (deux péniches) et sur laquelle je savais que les allemands travaillaient, a été prise à partie par le canon de 37 lorsque la portière ci-dessus était arrêtée ; cette deuxième portière est également au fond de l’eau.

5.Blessés légers

Au cours de l’action d’hier, il y eut un blessé grave et 5 blessés légers.

5.1.Le sergent GEYER

Chef de la casemate sud, était dans la cloche de son ouvrage et tirait au mortier de 50, lorsque la culasse se déverrouillant, est venue le frapper violemment à la poitrine sans lui causer de blessures apparentes, il n’a pas voulu abandonner son poste et a continué le tir avec le FM de cloche. Une balle est alors arrivée dans la glace de visée de ce FM, a brisée cette glace et a blessé le sergent GEYER en lui creusant un sillon à la joue droite et en lui projetant dans l’œil droit des éclats de verre. D’après les derniers renseignements obtenus par le docteur du 1/70ème RIF, le sergent GEYER aurait l’œil droit crevé. Le sergent a continué néanmoins à commander son ouvrage, mais son état paraissant inquiétant, il a dû être évacué à la fin des tirs.

5.2.Le caporal-chef CLAUDEL

Il a reçu par la fente de visée de la rotule de FM de cloche, un éclat qui lui a enlevé au-dessus du front 2cm2 de cheveux et lui a fait une légère blessure. Il n’avait pas en effet son casque, car il est impossible de servir une arme de casemate avec le casque d’infanterie dont est actuellement dotée l'équipage de la casemate de la CEO 1. Il serait nécessaire que les unités d’équipage soient dotées du casque de chars prévu dans les tenues de casematiers.

5.3.Le sergent NEFF

Au cours du tir sur le premier train de péniche tirait au jumelage, lorsque le ressort d’une des pièces a quitté son logement et l’a blessé assez profondément au menton.

5.4.Le casematier DIDIER Jules

Tirant au FM de cloche reçut au bas de l’œil droit, la glace de visée de la rotule de ce FM. Il a le dessus de l’œil et la joue profondément meurtris. Cette glace s’est détachée par suite d’un choc parvenu d’un éclat de balle allemande.

5.5.Le soldat AMAGAT François

De la CEFV 1, chargeur du canon de 37, a reçu des éclats de balle dans l’oreille gauche, éclats qui lui ont causé une blessure légère. Ce même homme allant porter un ordre donner par le Lieutenant METZINGER à la casemate nord, s’est tordu le genou assez sérieusement.

5.6.Le Lieutenant METZINGER

Commandant la CEO 1 a reçu dans la figure et dans les mains des éclats d’une balle qui a éclaté contre le tube du canon de 37 et a été légèrement blessé.

Source :



Dossier Schoen Antoine


- Retour