Hochwald – un mystérieux captage dans la galerie Est

 

Ceux qui ont eu la chance de découvrir le demi-ouvrage Est de l'ouvrage du Hochwald sont tous passés devant et se sont posés la question : à quoi ça sert ?

C'est environ à une centaine de mètres en aval de l'usine Est qu'ils ont pu jeter un coup d'œil dans un local greffé sur la grande galerie et qui ne contenait rien. Mais à bien y regarder, on pouvait découvrir, au fond de la pièce, le départ d'une petite galerie joliment maçonnée en pierres de taille, comportant un escalier bétonné ascendant sur un angle d'environ 45 degrés.

 

D'une longueur d'une trentaine de mètres, cet escalier s'élevant en ligne droite sur un dénivelé d'une quinzaine de mètres s'achève sur un tronçon de galerie horizontale qui se termine sur une fouille laissant apparaître le rocher, ce qui fait dire qu'on est à l'extérieur de la fortification, c'est-à-dire dans le flanc du massif du Hochwald.

 

Et chacun d'y aller de sa théorie : cela pourrait être une issue de secours inachevée, une liaison inachevée avec un bloc du réduit ou d'un bloc du fossé. Rien de tout cela.




 

En fait, derrière la muraille rocheuse se trouve sans doute une poche qui collecte une partie des eaux de pluie qui s'accumulent dans la montagne. De là, le génie militaire a fait poser une canalisation de 250 mm de diamètre qui amène cette eau jusqu'au bassin de collecte de la station de pompage, située elle aussi sur la galerie principale, 260 mètres plus loin. Interrogé à ce sujet, le colonel Lebreton, qui était l'officier du génie en charge de l'infrastructure du Hochwald jusqu'à la fin des années 1980, se rappelle avoir entendu, de la bouche d'un des conducteurs de travaux présent depuis la construction du fort, le témoignage suivant :

"Il semblerait que lors de la construction de la galerie menant vers l'Est, et ce peu après l'usine, le percement de la galerie ait été entravé par la présence d'une zone largement inondée. Il fallut alors creuser au dessus de cette zone (et de ce qui est l'actuelle galerie) pour drainer et assécher l'endroit afin de pouvoir poursuivre le percement et la construction de la galerie principale". On peut alors imaginer que ce percement parallèle servit à l'écoulement de la poche d'eau et recèle, de ce fait, le conduit qui aboutit au bassin de collecte de la station de pompage. Malheureusement, il n'existe aucune trace, ni sur les plans, ni sur le terrain, de ce chantier qui pourtant, ne serait pas passé inaperçu.






 

Il faut savoir que le massif du Hochwald est un véritable château d'eau qui alimente non seulement en partie le fort, mais aussi les villages environnants. Rien d'étonnant à cela puisque tous les massifs montagneux jouent ce rôle et que par exemple, tous les grands fleuves du monde prennent leur source dans une montagne. Au Hochwald, 19 cours d'eau prennent naissance dans les flancs du massif, sans compter ceux qui émergent de son piémont. Il existe donc plusieurs zones de captage et celle qui nous intéresse se trouve à l'aplomb de la galerie principale, entre l'usine Est et les casemates Est du fossé.

 

Ainsi, d'après les plans, une canalisation enterrée à l'extérieur de la structure de l'ouvrage débute, sans toutefois que ce soit visible, à proximité du haut de cet escalier pour se déployer en s'inclinant vers le bas jusqu'au niveau de la station de pompage et de son bassin d'une contenance de 86 mètres cubes. Selon le colonel Brice, ce captage pouvait débiter (en 1940), selon les saisons, jusqu'à 20 m³  à l'heure. Ceux qui ont eu l'occasion d'y jeter un coup d'œil ont pu constater un débit très important dont le trop-plein part à l'égout.






 

Mais ce captage n'est peut être pas celui que nous connaissons aujourd'hui. En consultant le plan le plus ancien de la forteresse, donc établi peu avant l'achèvement des travaux, nous constatons que ne figure ni bassin de captage, ni station de pompage à l'endroit où on peut les voir actuellement. Toutefois, on y a dessiné à la main un bassin de rétention de 75 m³ alors que les plans ultérieurs en indiquent 86. Une pompe de refoulement vers les arrières y figure également, mais celle-ci est installée, toujours d'après le plan, dans la galerie principale. Cela voudrait donc dire que ces installations ont été construites sur le tard, un peu à l'improviste, car vu la quantité du débit, il serait plus judicieux de se servir de cette eau au lieu de la laisser partir à l'égout.

 

Mais alors, la station actuelle, elle date de quand ? On peut à nouveau imaginer que lors de l'aménagement, du centre de contrôle aérien au début des années 1960, les besoins en eau sont devenus subitement plus conséquents. On a peut être rehaussé ou agrandi le bassin de captage, qui passa de 75 à 86 m³. Puis on a sans doute creusé et maçonné une nouvelle alvéole ou seraient alors installées quatre pompes à la place de celle de la galerie. Et il se pourrait que les déblais de creusement aient été stockés dans une soute à munitions de bloc 6 qu'on a bourré jusqu'au plafond (environ 100 m³). Comme la ligne Maginot était déjà quasiment désaffectée à ce moment là et que le bloc 6, détruit par les Allemands n'avait plus aucun espoir de tirer un seul coup de canon, il ne paraît pas farfelu de penser qu'on ait déversé là tous ces déblais (le bloc 6 est à 300 m) au lieu de les trimbaler sur un kilomètre et demi vers l'extérieur à travers un ouvrage en pleine transformation.

 

Donc, du bassin de captage, cette eau alimente les avants par gravitation car la galerie principale va en s'abaissant. Mais du même bassin, on alimente aussi l'usine et la caserne Est et même une zone englobant une partie des arrières et de l'entrée des munitions, en complément de l'eau qui provient du forage de la galerie Ouest. Mais pour cela, il faut pousser l'eau sur un dénivelé de 53 m au moyen de puissantes pompes car la zone des entrées est située bien au-dessus du niveau du bassin de la galerie de l'Est.







 

En parlant d'égout, on peut aussi se poser la question suivante : où donc va ce trop plein d'eau qui transite à travers l'ouvrage ainsi que les eaux usées rejetées autrefois ? Justement, l'important trop-plein du captage qui nous intéresse est évacué par l'égout du bloc 5 (tourelle mitrailleuse), de même que les eaux usées qui proviennent des drainages des blocs de combat de l'Est, pour se déverser dans le ruisseau du Bremmelbaechel à la sortie de la petite galerie qui fait office de canalisation. Quant à l'eau évacuée par l'égout du bloc d'entrée des hommes Est (le n°7) elle s'écoule dans le Birlenbaechel, un ruisseau qui traverse entre autres les localités de Drachenbronn et Birlenbach.

 

Et c'est quelques kilomètres plus loin que le Heimbachgraben fait la jonction avec le Birlenbaechel. Sachant que le ruisseau du Heimbachgraben est en réalité l'égout de l'ouvrage de Schoenenbourg qui y rejette sa source du bloc 6 et ses importantes infiltrations d'eau, la boucle est bouclée et on peut affirmer sans crainte que le Hochwald et le Schoenenbourg étaient reliés par … des cours d'eau !

 

Il y a bien encore la galerie-égout du bloc 8 (entrée des munitions), qui rejetait autrefois au milieu du bois les eaux usées de l'Ouest et des arrières, puis par un fossé ou une canalisation enterrée dans le ruisseau du Wintzenbaechel. Ce dernier fait ensuite sa jonction avec le Birlenbaechel, les deux récupèrant le Braemmelbaechel à hauteur du village de Hoffen, pour former ensuite le Seltzbach qui finalement va se jeter dans le Rhin à Munchhausen. Ouf !

 

Conclusion : les eaux, et donc les eaux usées de la ligne Maginot d'Alsace s'écoulaient … en Allemagne, même celles du Four à Chaux via le Schmelzbach et la rivière Sauer ainsi que celles du PO de Lembach qui déverse lui aussi dans la Sauer. Serait-ce là l'arme secrète de la ligne Maginot ?

 

Ainsi donc, le mystère du contexte de l'escalier  "qui donne sur rien" est partiellement levé. Mais il demeure toutefois la question de savoir à quoi devait servir cette construction visiblement inachevée ? Il se pourrait bien qu'on ait prévu, à l'origine, de procéder à un captage, d'installer un bassin de collecte dans le local précédent l'escalier, de canaliser l'eau vers ce dernier. En observant l'important drainage en céramique qui longe les marches, on se doute bien qu'il devait servir à amener proprement l'eau vers le pied de l'escalier.

 

Mais pour une raison que nous ne connaissons pas, cela ne s'est pas fait et le captage actuel draine ainsi  l'eau vers le bassin que nous connaissons.

 

Jean-Louis Burtscher

 

Sources :

- Plan du Hochwald

- La Ligne Maginot en Alsace – 200 km de béton et d'acier par J.B. Wahl

- Recueil de souvenirs du colonel Robert Brice

- Témoignage de M. Michel Lebreton

- Géoportail




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