Chronique d'un soldat américain


L'enfer de Hatten :

A environ 26 kilomètres juste au nord de Strasbourg, est située Haguenau et, au-delà de Haguenau, se trouve la forêt. Nous sommes en hiver à présent, la forêt se dresse là, noire, toujours humide et froide. A la lisière nord de la forêt de Haguenau, à environ 16 kilomètres de la ville, se situe le village de Hatten. Mais que reste-t-il de ce Hatten ensanglanté ?

Anzio (en Italie), était plus long que Hatten, les fantassins vous le diront car ils étaient retranchés dans cette tête de pont où, heure après heure, jour après jour, ils étaient abrutis par cette tension si tenace et si sanglante qu'il leur fallait supporter à la limite de la défaillance nerveuse. Pourtant, c’est ce que nous vécûmes à Hatten qui était le plus terrible.

Les Fritz (surnom donné aux Allemands, en fait, "Krauts" dans le texte original) se trouvaient dans la maison voisine, mais également dans les maisons de l’autre côté de la rue (ils étaient plus d’une fois dans la cave alors que nous nous trouvions à l’étage). Les Fritz étaient aussi sur les collines, au nord de la ville.

Quand vous bougiez, ils tiraient au fusil; et si vous bougiez de nouveau, ils tiraient au bazooka ; et si vous étiez encore capable de bouger, ils faisaient appel à l'artillerie qui vous repérait à partir des collines. Cela ne faisait aucune différence. Si vous étiez un homme seul, ils vous attaquaient au mortier, et si vous vous déplaciez en char, ils faisaient appel aux porteurs de bazookas, aux mortiers, aux armes antichars. L’artillerie elle aussi s’en mêlait.

Étiez-vous fantassin, vous vous appuyiez contre le mur d’une cave en priant Dieu qu’aucune puissante explosion ne vienne frapper directement la maison; et vous sortiez pour affronter et combattre les violentes contre-attaques, encore et encore. Vous vous battiez au mortier, à la mitrailleuse, à la grenade, au fusil et à la baïonnette, et faisiez appel à votre propre artillerie. Tout cela pour vous emparer seulement d’une misérable maison.

Étiez-vous affecté à un char, vous vous trouviez assis, l’œil collé au télescope et le pied sur la détente en fer, car, si vous regardiez ailleurs, vous n’auriez pas eu le temps de replacer votre oeil au télescope avant que les bazookas et les mitrailleuses antichars vous attaquent.

Quand tout était terminé, il était difficile de dire ce qui était une rue ou une maison, l’artillerie avait fait fureur. Il restait à peine une toiture ou un mur de maison. Et les morts gisaient dans les rues, par terre, dans les caves et les décombres ; soldats Fritz ou américains, ou civils. La jeune fille qui avait tenté de s’échapper de la cave où nous étions avait tout juste réussi à faire quinze pas, avant d'être touchée.

C'était un village d’agriculteurs, reposant sur une pente douce, long de huit cents mètres et large de trois cents. Il comportait trois cent cinquante maisons environ et était sillonné par deux rues principales.

C’était Hatten

Les Fritz ont été stoppés à Hatten. C’est avec des parachutistes qu’ils avaient attaqué, après s’être reposés longuement à l’arrière des lignes. Des SS lugubres avec leurs uniformes noirs et impeccables, des soldats de chars de la Panzer Division, qui avaient sillonné l’Europe entière pendant longtemps, étaient là. L’infanterie aussi. De l’infanterie, encore de l’infanterie et toujours de l’infanterie, inlassable. Les Fritz avaient l’intention d’ouvrir une brèche à Hatten et de forcer à travers la forêt pour atteindre Haguenau et s’engager dans la grande plaine vers Strasbourg.

Nous avons pris la route dans la nuit du 12 janvier 1945.

 

Un bataillon de chars :

Un bataillon de chars de la 14ème division blindée, commandé par le lieutenant colonel James W.Lann, d'Amory dans le Mississippi, était engagé sur le champ de bataille. Sa compagnie B lui faisait toutefois défaut, car elle combattait toujours sur un autre théâtre d'opérations, près de Drusenheim.

Il s’agissait d’environ 25 chars moyens, d'un poids de trente tonnes chacun, plus 15 chars légers de seize tonnes ; d'innombrables blindés, des chars de dépannage, des mortiers, des cuisines roulantes, des camions-citernes, des engins semi chenillés, des remorques pleines de munitions, des véhicules de dépannage ou équipés de postes à souder, des Jeeps. Étaient réunies, la compagnie A, la compagnie C, la compagnie D, la compagnie du quartier général et la compagnie de service, la maintenance et le service médical du bataillon. La compagnie B manquait.

 

Black-out :

Si vous étiez conducteur, vous ne pouviez rien voir à part une vague image des champs sur vos côtés, le ruban foncé de la route, quelques mètres devant vous, et le noir très profond des bois. Ce qui vous restait comme lumière au monde étaient les feux rouges arrière du véhicule qui vous précédait, plongé dans le black-out ainsi que la lumière indirecte des cadrans du tableau de bord. Si vous étiez commandant d’un véhicule, vous vous leviez de temps en temps pour vérifier la situation de votre convoi, il faisait trop froid pour rester debout. Vous pouviez voir la longue file de chars et de half-tracks (appellation américaine des blindés de transport semi-chenillés) derrière vous, rampant de façon inquiétante à travers l’obscurité, seules, les lumières tamisées consécutives au black-out étaient à peine visibles. De temps à autre, vous entendiez le vrombissement de rage d’un moteur de 500 chevaux lorsque le conducteur changeait de côté pour éviter une imperfection de la route.

Le peloton de logistique, sous le commandement du lieutenant Tom Anderberg, de Hudson, dans le South Dakota, était parti en avant. Il avait trouvé une grande maison pour y installer le P.C. du bataillon et avait progressé dans les rues, frappant à chaque porte pour demander des chambres (Soldaten hier schlafen ? Amerikanische Soldaten) et il avait trouvé des places pour héberger tous les hommes dans les maisons alsaciennes, pour qu'ils puissent y dormir, et des cours pour y parquer les chars.

Nous pénétrâmes dans le village avant l’aube. Le ciel était grisonnant, à la place du noir ; les maisons paysannes, de construction mixte, bois et torchis, rassemblées comme des moutons de pierre grise avec leurs toitures à deux pentes couvertes de tuiles rouges, apparaissaient derrière un monticule de terre ou un tournant de route.

Le peloton de logistique nous attendait pour nous montrer le P.C. du bataillon et les maisons où nous allions loger ; les chars quant à eux, restèrent dans la rue parce que nous devions commencer l’attaque à 5h30. Les équipages vérifièrent les blindés.

Vous pouviez entendre un conducteur travailler sur son moteur, dans l’obscurité, et tout près de là, l’artillerie tirait, les claquements secs des 105 sonnant comme s’ils se trouvaient dans la rue voisine; vous pouviez aussi entendre la complainte et le bruit creux d’une explosion quelque part non loin de là.

C’était simple, pour notre défense, nous devions attaquer Hatten avec l’infanterie pour y chasser l’ennemi. L’infanterie nous dépassa, pour se mettre en position sur les terrains surélevés au-dessus de la ville.

Au P.C., le colonel Lann se penchait sur la carte des opérations avec le commandant Alton S. Kircher, de Gladstone dans le Michigan, le lieutenant Paul C. Willis, l’officier des communications qui venait de Canton, en Caroline du Nord, qui vérifiait ses radios et le capitaine Solly A. Spivek, qui était originaire de Chicago et qui installait sa carte.

Hatten se trouvait alors juste au nord.

Une voie unique de chemin de fer français allait d’est en ouest, passant à quelques centaines de mètres au sud de Hatten et continuait vers l’est. A mi-chemin entre nos positions et Hatten, au nord de la voie de chemin de fer, était situé le village de Rittershoffen. Une autre unité a été désignée pour nettoyer Rittershoffen, en y délogeant les Allemands.

A ce moment là, la situation était la suivante :

Nous devions passer au sud de Rittershoffen en longeant la voie de chemin de fer. Nous devions ensuite pivoter vers le nord et pénétrer dans Hatten. A ce moment là, un bataillon d’infanterie devait se joindre à nous ; l’infanterie devait se trouver au sud de la voie ferrée et nous, au nord de celle-ci.

Les Fritz pouvaient nous repérer depuis les terrains situés en hauteur au nord de Hatten, car, le terrain monte en pente légère allant de la lisière de la forêt de Haguenau vers la crête située au-dessus de la rivière, le Seltzbach. C’est sur cette crête que ces derniers avaient installé leurs postes d’observation. Hatten, se trouve au milieu de cette légère pente.

Depuis l’extrémité est de Rittershofen, on pouvait également voir Hatten et l’on pouvait tirer dans cette localité. Les Fritz, quant à eux, tenaient l’extrémité est de Rittershoffen ; il s’agissait de l’infanterie et de deux canons antichars américains de 57 mm, qu’ils nous avaient pris.

Le capitaine Harold D. Persky, de Saint Paul dans le Minnesota, commandait la compagnie C, du moins, devait-il la commander pour la mener à l’attaque. Une de ses sections, commandée par le lieutenant Seth Spargue, de Hingham, dans le Massachusetts, devait être rattachée au bataillon d’infanterie en action au sud de la voie du chemin de fer. En effet, le lieutenant Sprague commandait la section ce matin là, ou, ce qui était la section à ce moment là.

La compagnie A, commandée par le capitaine Richard A. Tharpe, de Macon en Géorgie, venait en renfort. Venaient également en renfort, les canons d’assauts commandés par le lieutenant Robert C. Harper, d’Auburn dans le Nebraska. La compagnie D, quant à elle était en réserve, elle était commandée par le capitaine Henry P. Tilden, de Weymouth dans le Massachusetts.

 

Suivons le lieutenant Sprague :

C’est au moment où, directement devant lui, le ciel d’est vire du gris au gris- clair, que ses tanks se trouvent en position dans ce village alsacien, dans une rue étroite et figée par le gel. Sur les côtés, s’élèvent en masses sombres des maisons avec leurs toitures à pente raide, construites en bois et en torchis ; c’était le petit matin. Le moteur de son char tourne sans problème, au point mort, quant à lui, il est debout dans sa tourelle, trappe ouverte, emmitouflé dans sa tenue de combat. Il fait froid.

Un léger bruit se fait entendre à la radio. Puis, l'ampoule jaune qui signale une communication s’allume, et il entend grésiller l’ordre.

“Avancez, avancez”

“Ok” dit-il, en passant aux interphones. ”Avancez” dit-il au conducteur, “Avancez”

Le moteur du char résonne brusquement dans ses oreilles et il n’entend pas le conducteur embrayer. Le char titube un peu, puis part en avant. Il sent le raclage familier de la progression sur la route, alors que les chenilles s'incrustent comme des griffes d'acier dans la route dure et glacée. Le moteur grogne de nouveau et le conducteur passe la troisième vitesse. La tête de Sprague se trouve au niveau des fenêtres des maisons et il peut mieux distinguer la route devant lui.

Il est à l’extérieur du village à présent, suivant la route et longeant les champs d’une blancheur fantomatique. De part et d'autre de la chaussée,des arbres sont alignés, des peupliers et des sycomores, comme il y en a toujours dans ce pays. Maintenant, il essaye de repérer le croisement de route qui sera son point de départ. L'air est chargé par un brouillard glacial. La visibilité est mauvaise.

Il repère le croisement. Il est alors 8h03.

“Avons franchi la ligne N°1”, annonça-t-il à la radio. Une voix répond “Roger” c’est-à-dire OK.

Il continue d’avancer, lentement. La journée s’annonce grise, froide et misérable. Le brouillard tombe sur les champs, gelant la terre. Il transforme le noir des arbres en un blanc immaculé.

A 8h50, il a parcouru 800 mètres et franchi la ligne N° 2

9h13, “Tirs intenses de l'artillerie ennemie” dit-il, “Tirs intenses de l'artillerie ennemie”.

“Où est-elle?”

“Je ne sais pas” répond-il. “Je ne vois rien, la visibilité est mauvaise. Tout ce que je sais c’est qu'elle nous pilonne”.

L’ennemi se trouve sur la hauteur, sur sa gauche; il est à présent derrière lui, dans Rittershoffen. Il se trouve dans son char, le moteur rugissant derrière lui, le blindé grince et tréssaute sur le sol gelé. La trappe de sa tourelle est fermée maintenant. Il ne peut pas voir l’infanterie, mais il peut distinguer le son aigu de l’artillerie, à sa droite, et il peut apercevoir des cratères apparaissant brusquement dans le sol gelé devant lui. Il sent parfois le souffle de l'explosion quand celle-ci est proche, il entend également les éclats d’obus s’écraser avec fureur contre les flancs du blindé.

Il est dirigé vers le nord-est, directement vers Hatten. Il est à la portée des canons antichars, mais il ne peut en repérer aucun. Il peut deviner les maisons de Hatten, les toits inclinés, blancs de givre, un petit village d’agriculteurs situé sur la colline au-dessus de lui.

9h30 :

Le capitaine Persky est sur radio.

“Je n’arrive pas à contacter Sprague” dit-il “J’ai perdu deux chars de ma section”. Il s’avèra par la suite qu’il avait perdu trois chars et quatorze hommes.

A la compagnie A, le lieutenant Francis E. Marshall, de Mt. Pleasant en Pennsylvanie, est envoyé dans le village pour venir en aide à l’infanterie. Il se dirige vers l’est puis vers le nord. Pendant ce temps, l’âpre combat continue. Il distingue maintenant d’où les canons antichars font feu : ils tirent de la bordure sud de Hatten et de beaucoup plus loin, à l’est. De ce fait, lorsque Marshall se tourne vers le nord, les canons antichars sont alors sur son flanc droit.

L’artillerie américaine, quant à elle, ne reste pas inactive. Étant donné que Marshall indique l’emplacement des canons, l’artillerie américaine envoie depuis une position reculée, batterie après batterie, ses attaques assourdissantes. Marshall peut voir la lueur des tirs. Les canons antichars semblent détruits au fur et à mesure. Mais les Allemands mettent en place de nouvelles recrues et de nouvelles armes, car à présent les canons antichars ont repris leurs tirs.

Et sur tout le flanc est, les mortiers tirent sur notre infanterie. Les projectiles d'artillerie s'abattent, encore et toujours. Les obus de mortiers tombent presque inlassablement. Certains soldats sont touchés, d’autres sont déchiquetés par les explosions. D’autres soldats sont couchés sur la terre glacée dans une indicible angoisse, à l'écoute des obus de mortiers qui arrivent sur eux. Un demi sourire semble se lire sur leur visage quand ils les ratent.

Ainsi, le lieutenant Marshall avait fait pénétrer trois de ses chars dans le front ouest de Hatten, mais il avait probablement poussé trop loin vers l’est pour devoir revenir et occuper une position de tir.

Cette manœuvre lui prit toute l’après-midi. La bataille elle aussi dura toute l’après-midi et toute la journée. Des soldats mouraient, il n’était pratiquement pas possible de décrire tout ce qui se passait. Un bataillon d’infanterie était engagé là, une seule unité, chacun des hommes de ce bataillon pourrait à lui seul raconter sa propre histoire, et chaque histoire serait différente, chaque soldat avait sa propre peur, et était brave ou découragé à sa propre manière.

Le lieutenant Marshall atteingnit ainsi la bordure ouest du village avec trois chars et établit des positions de tir.

Entre-temps, le restant de la compagnie A, soit deux pelotons de chars moyens, avait rejoint Hatten, l’un à l’ouest, l’autre au sud, pour prêter main forte à l’infanterie qui occupait l’extrémité ouest du village. L’infanterie avait décidé qu’elle pourrait tenir ce dernier, les chars quant à eux avaient rebroussé chemin pour ramener d’autres fantassins sur leur capot .

Trois chars avaient été laissés dans le village pour la nuit et six chars avaient été détruits.

Et c’est ainsi qu’avait commencé la première nuit dans Hatten la sanglante.

C’est le deuxième jour qu'arriva l'ordre : “Poursuivre l'attaque”. L’infanterie postée à l’extrémité ouest du village poussera vers l’est et nettoiera le village. Les chars appuieront cette attaque.

Les paras Fritz et les panzers étaient présents, ainsi que les SS et l’infanterie. Il y avait également les mortiers et l’artillerie avec les observateurs placés sur les collines.

C’est alors que, de jour, débuta la bataille dans ce village.

L’artillerie américaine entreprit la préparation de l'attaque. Un tonnerre d'explosions éclata sans discontinuer dans Hatten. Puis, l’infanterie américaine se montra.

Les fantassins essayèrent de se frayer un chemin à travers les décombres fumantes d'où sortait une âcre odeur. A l’instant où ils apparurent, l’artillerie allemande entra en action. Les mortiers allemands se mirent à pilonner les rues et les mitrailleuses ouvrirent le feu. Dans le froid glacial, les Américains essayèrent de courir et de résister, les mitrailleuses barraient les rues et les obus de mortiers explosaient.

Un char allemand voulait avancer le long d’une rue parsemée de débris, grimpant sur les tas de gravats et de bois. Un char américain se mit à avancer pour l’affronter. Le char allemand stoppa au tournant d’une rue, le char américain attendait juste au coin. Ils restèrent ainsi. Ils essayèrent de se déplacer afin de pouvoir faire feu sans être touchés. A coups d'obus explosifs, ils entreprirent de crever les murs des maisons pour pouvoir tirer à travers et toucher l'adversaire. A un moment, un des blindés fit une manœuvre et se retira.

 

A la recherche d'une solution pour vaincre l'adversaire :

Les commandants de section attendirent la fin du barrage d'artillerie pour sortir de leurs chars et courir vers le P.C. d’infanterie situé dans la cave d’un immeuble. Le lieutenant Charles Wallace, de Cincinnati dans l’Ohio, se mit à courir avec eux.

“Lieutenant” appela le commandant de l’infanterie. “Amenez votre char vers ce point et tirez sur cette maison, les Allemands qui s’y trouvent nous empêchent d’avancer!”

Le lieutenant Wallace se retourna et courut à nouveau vers son char.

“En avant” dit-il à son conducteur et il se mit en position de tir. Les bazookas allemands ouvrirent le feu et l’artillerie entra à nouveau en action. Tout en manoeuvrant pour éviter les tirs des bazookas, Wallace fit feu sur la maison. Depuis la maison voisine, les Allemands stoppèrent à nouveau la progression.

Les Allemands étaient eux aussi dans l'impossibilité de bouger. Les cadavres s’accumulaient dans les rues, les morts en uniformes gris et d’autres en uniformes kaki. Des civils aussi, frappés dans ce village en essayant de fuir la bataille, ils furent tués alors qu’ils couraient dans les rues.

La contre-attaque allemande la plus violente eut lieu cette nuit-là, juste au crépuscule. Pour commencer, comme d’habitude, c’est l’artillerie qui se mit à frapper. Ensuite, des silhouettes fuyantes et rapides des soldats en gris qui couraient. L’infanterie sollicita l’artillerie. Les mitrailleuses canardaient interminablement durant toute la nuit. Les lueurs des départs de tirs des mitrailleuses illuminaient tout le village qui devint un enfer vivant ; les projectiles de d’artillerie commencèrent à s'abattre.

Vous pouviez entendre les appels et les cris à travers les tirs de mitrailleuses. Des femmes, enfermées dans la cave d’une maison en flammes touchée par du phosphore blanc, criaient à l'aide.

Quand vint le jour, un peloton de la Compagnie A, conduit par le lieutenant Sol Rael, originaire de Brooklyn à New York, arriva dans le village, mais Rael s'en retourna. Arrivèrent encore dans cet enfer, au moment le plus crucial de la nuit, les chars de la compagnie C, sous le commandement du capitaine Persky, et l’on pouvait entendre sa voix à la radio.

“Je ne peux rien voir. Je ne peux rien voir!” dit-il “La fumée est trop épaisse. La fumée est trop épaisse”. Alors, comme il venait de traverser la fumée pour entrer dans la bataille il dit : “Bon Dieu, il y en a des millions ici! Il y en a partout, il y en a partout ici...” Johnny, John, tiens, en voilà un, chope le...!” Et sa voix s’évanouit en un brusque silence.

Trois chars de la compagnie C furent détruits.

Pourtant, l’infanterie allemande ne passera pas. Les contre-attaques furent repoussées. L’infanterie américaine s’installa pour stopper les contre-attaques mineures qui se répétèrent toute la nuit durant pour la mettre à l’épreuve, les chars restèrent pour l'appuyer.

Le ravitaillement avait été assuré par des half-tracks, ceux-ci étaient sous la protection des mortiers, qui étaient sous le commandement du lieutenant Willis E. Harding, de Lincoln dans le Nebraska. Les mortiers tirèrent toute la journée et assurèrent la protection la nuit. De toute façon, les engins semi-chenillés ne pouvaient plus passer, c'était devenu trop dangereux.

Le capitaine Robert C. Potts, originaire de Columbia dans l’Ohio, effectua son ravitaillement par chars légers.

Le corps médical du bataillon, soit 18 hommes et deux officiers pour soigner 700 soldats, rejoignit le champ de bataille pour emmener les blessés ; leurs Jeeps revenaient avec les pare-brises troués par des balles. Les blessés étaient transportés sur des semi-chenillés et sur des chars vers les postes de secours où le capitaine William R. Eaton, originaire de Pittsburgh en Pennsylvanie, assurait son service.

Au matin du 15 janvier, l’opération avait pour but de procéder à une attaque limitée. L’action était difficile pour nous, il en allait de même pour les Fritz. Nous avions perdu des chars et des soldats. Les Fritz aussi. Un prisonnier de guerre nous révéla que, dans son unité, plus de cent hommes avaient été tués en un seul jour.

Tension et combat se poursuivirent. L’artillerie refit feu avec son hurlement interminable. Et les armes légères canardaient inlassablement, les Fritz se trouvaient encore dans les maisons voisines.

Lorsque vous vous trouviez d’un côté du mur, les Fritz se trouvaient de l’autre et vous essayiez de lancer des grenades à main par-dessus pour les “avoir”. L’infanterie, de son côté, installait un mortier et essayait d’envoyer des obus par-dessus une maison pour toucher la maison voisine. Et les cadavres jonchant les rues commençaient à vous taper sur les nerfs, tout comme la tension persistante de toujours regarder par la mire, de toujours attendre. L’artillerie revenait toujours et vous saviez qu’il n’était qu’une question de temps avant qu’un obus ne vienne exploser sur la maison où vous vous trouviez. Le combat avait atteint une telle violence qu’ils étaient amenés à braquer des canons lourds de 8 pouces sur une simple maison, ce qui peut être comparé à tuer une mouche avec un fusil.

 

Le combat continuait toujours :

Aujourd’hui, demain, après-demain et ainsi de suite. “Des contre-attaques dans la région de Hatten ont été repoussées", annonçaient les comptes rendus de l'armée. Ils ne mentionnaient néanmoins pas le feu d’artillerie, ni ce qui subsistait des unités après ces contre-attaques. Aucune nouvelle également d'un chef de section d’infanterie (pourtant le meilleur chef de section de l’armée). Il était actif au combat depuis des mois et devait se rendre aux arrières, à 19h30, pour être nommé sous-lieutenant. Le compte rendu ne vous mentionnait pas non plus qu’il fut tué à 15h30. En outre, Il ne mentionnait pas la mort, ni les hurlements, ni la sueur malgré une température glaciale, ni la souffrance.

Le compte rendu ne mentionnait pas non plus les heures interminables d’attente où il ne se passait rien, des heures longues de 200 minutes et des jours et des nuits longs de 200 heures. Attendre, attendre jusqu’à ce que, finalement, vous souhaitiez que quelque chose se produise.

Ces hommes auraient pu vous le dire ou laissez leurs écrits officiels vous l’expliquer .

A Hatten, le 18 janvier à environ 14h00, le sergent William T. Summers, de la compagnie C, originaire de Schenectady, New York, conduisait son char et manœuvrait pour se mettre hors de portée d’un canon antichar adverse. Au cours de sa manœuvre, il vit un char léger qui était touché et commençait à flamber. Summers vint immédiatement au secours de l'équipage de ce char. Le conducteur du blindé en feu était blessé et avait besoin de soins. Summers les lui administra, puis installa le blessé sur le capot arrière de son char et s’éloigna avec lui. Pendant tout ce temps, le sergent Summers avait été exposé à la mitraille ennemie et au feu des mortiers qui tiraient sans cesse.

“Dans la nuit du 13 janvier, à Hatten, en France, le lieutenant Pennington qui commandait le peloton de chars avait été blessé. Le sergent P. Smith originaire de Shreveport en Louisiane, et le soldat James Barbera de Brooklyn, New York, faisant partie tous deux de la compagnie A, descendirent de leur char malgré les tirs intenses de l’ennemi. Ils protégèrent le lieutenant avec leur propre corps, pendant que le sergent Smith lui administrait les premiers soins. Ils le hissèrent sur l'arrière de leur blindé et Barbera resta accroupi auprès de lui pour empêcher qu'il ne tombe durant le trajet. Non seulement Barbera maintint le pansement pendant le retour, il a de plus protégé l’officier par son propre corps contre le feu adverse. Le lieutenant fut ainsi évacué avec succès. Le sergent Smith retourna auprès de son peloton et en assura le commandement, il le réorganisa et fit personnellement une reconnaissance à pied pour repérer le meilleur cheminement pour ses chars. Au cours de cette reconnaissance, il dirigea l’évacuation d’un chef de section de l'infanterie. Toute cette opération a été effectuée sous les tirs intenses d’armes légères et de mortiers. La réussite de la mission était due en grande partie au sang froid du sergent Smith”.

“Le 17 janvier, à Hatten, France, le mécanicien, John Pitcher originaire de Altoona en Pennsylvanie, et le soldat Richard L. Duvall de Mc Bain dans le Michigan, appartenant tous deux à la compagnie D, faisaient partie de l’équipage d’un char léger qui fut touché par un obus de 88mm. Le tank s’enflamma. Sous les tirs ennemis, le mécano Pitcher et le soldat Duvall sortirent du char en flammes. Lorsqu’ils virent que les deux autres membres de l’équipage ne suivaient pas, les deux hommes retournèrent au char et en retirèrent le canonnier qui était blessé et qui brûlait. Duvall roula le corps en flammes sur le sol et se coucha sur ses vêtements flambants pour étouffer le feu. Ils n'arrivèrent pas à évacuer le 4ème soldat. Ayant réussi à éteindre le feu, les soldats arrêtèrent un char qui passait par là et placèrent le blessé sur l’arrière et s’y couchèrent avec lui, malgré les tirs ennemis, jusqu’à ce qu’ils aient atteint un poste de secours. Leur action était une réussite car le blessé avait 50% de chance de survivre. Ces hommes ont montré un courage exemplaire face au danger auquel ils étaient personnellement exposés, en secourant leurs frères d’armes”.

Cette histoire vécue par trois hommes n’est pas tout.Le lieutenant Earl A. Allgrim, de Buffalo, New York, et le sergent William R. Fadda, de San Leandro en Californie, appartenant tous deux à la compagnie de commandement pourraient vous raconter comment ils sont allés sur le champ de bataille sous le feu des mitrailleuses de l’artillerie, pour évacuer un char.

Le sergent Stephen B. Ratchuck Jr., de Buffalo, New York et le mécano Edgar Mongo, de Utica, New York, appartenant à la compagnie B, pourraient vous dire comment ils sont allés dans la nuit du 17 janvier, prendre en remorque un blindé semi-chenillé, chargé de blessés, qui avait été atteint par un obus de 88mm adverse, et le tirer hors de la zone d'affrontements.

C’était l’histoire de six autres hommes. Mais l’histoire n’est pas encore terminée. Il y a des milliers d’histoires, une histoire pour chaque homme. Et certains de ces hommes sont vivants. Mais beaucoup d’entre eux sont morts. Peut-être même que toutes ces histoires réunies ne pourront, à elles seules, raconter l’histoire de Hatten.

 

La bataille continua :

Aujourd’hui, demain, après-demain et les jours suivants...

La compagnie B venait de Drusenheim, mais le compte n'y était pas, des chars manquaient, car elle avait été rudement engagée dans la bataille. Le capitaine Thomas C. Beaty, originaire de Wichita Falls dans le Texas, avait pris le commandement. On était le 15 et, cette nuit-là, le lieutenant John L. Perkins, d’Amsterdam, Etat de New York, perdit la vie à Hatten, alors qu'il était hors de son char. Nous avons trouvé une lettre qu’il avait écrite à sa femme, lettre écrite au crayon et non postée. Nous l’avons, suite à cela, timbrée et expédiée.

Le lieutenant Cullis V. Sears, de Lumber City en Géorgie, arriva au front, cette nuit-là.

Le 17, la compagnie A fut renvoyée à Durrenbach. Le capitaine Tharpe avait été blessé et le lieutenant Rael était retourné à l’hôpital. La compagnie B avait perdu beaucoup de ses blindés, mais aussi le lieutenant Perkins.

La compagnie C était affaiblie par la perte de nombre de ses chars. Le capitaine Persky était blessé et le lieutenant Hilbert C. Jones, originaire de Elcho dans le Wisconsin, était également blessé. Le lieutenant Sprague, quant à lui, avait disparu. Le lieutenant Sidney Hack, de Brooklyn à New York, était blessé. Il restait en tout un officier à la compagnie C.

 

Les Allemands sont toujours en position dans Hatten :

Des terrains légèrement vallonnés, au sud de Hatten, vous pouviez voir les carcasses brûlées des chars américains abandonnés. Vous pouviez également voir les chars allemands. Et si vous vouliez passer dans les rues de Hatten, vous pouviez encore voir davantage d’épaves brûlées, américaines et allemandes.

La 7ème Armée américaine décida de se retirer. La distance n’était pas grande, mais les communiqués annonçaient comment la 7ème Armée avait déjoué les plans de Von Rundstedt, comment elle avait repoussé de nombreuses fois ses contre-attaques jusqu’à la toute dernière seconde et alors, lorsque ce dernier misait tout sur le choc final, comment il tombait dans le vide. La 7ème Armée s’étant retirée, il pivota et c’est à ce moment que cette dernière, qui s'était repliée sur la Moder, l’attendait pour contre-attaquer dès les premiers signes de faiblesse.

Nous avons quitté les lieux le 20 janvier.

Nous avons reculé vers le sud et l’ouest et avons abandonné Hatten derrière nous. Nous sommes partis la nuit, et les chars sont restés pour couvrir l’infanterie. La colonne que formait le bataillon rampait lentement le long des routes noires, elle était moins longue qu'il y a quelques jours, alors qu'elle allait s'engager dans la bataille.

Derrière nous, se trouvait Hatten, et nous avions également la bataille derrière nous. Derrière nous, se trouvaient les interminables barrages d’artillerie, les tirs meurtiers et la mort. 

Derrière nous aussi, était brisée l’offensive allemande.



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