Le chantier de l'ouvrage d'artillerie du Schoenenbourg


TEXTES EXTRAITS DU ROMAN "LE BLOC 3"
Roman écrit vers 1940 par M. Eugène LEIBENGUTH.


2 - ETAPES DE LA CONSTRUCTION :

Certains travaux prennent du retard à cause des mauvaises conditions météorologiques (pluie et vent)
Le chantier est dans la boue ; des éboulements de la fouille de l'égout se produisent.
Bétonnage de la dernière partie du bloc 3.
Les gelées apparaissent : on se dépêche de bétonner.
Le bloc sera enterré sur toute sa hauteur.
Les parties basses du bloc sont terminées ; le bloc entier sera terminé dans trois jours.
La neige commence à tomber lorsque le niveau du plafond du bloc est atteint.
Le bloc est décoffré. Complètement dégagé de ses échafaudages et du pont de service, enduit et passé au goudron. Il dresse son immense masse dans le cratère de sa fouille. Sa couleur noire lui donne une impression de force et de puissance. " Les Allemands peuvent s'amener contre celui-là " dit un ouvrier.
Par un temps sec et froid, les fouilles du bloc 5 sont commencées. En même temps celles du bloc 3 sont comblées.
Au voisinage des puits, les galeries sont finies. Sur le radier court une voie étroite d'exploitation. L'eau souterraine suinte au travers des maçonneries. Des témoins en mortier ont été posés afin de suivre les fissures qui se forment.


Le moment de vérité : les deux galeries se rejoignent
Le chef mineur a prévenu l'ingénieur de l'imminence de la percée. Depuis plusieurs jours, il a fait arrêter l'attaque opposée afin d'éviter les risques d'accidents. Mais son équipe y va avec une ardeur redoublée ; on aurait dit que les ouvriers mettent leur point d'honneur à réaliser la percée. Les bêches pneumatiques découpent la terre tenace et grasse, sifflant et crachant l'air comprimé ; les wagonnets se chargent à une allure record. Cependant les minutes s'écoulent. Tout à coup, il vit l'un des mineurs tomber en avant, tandis que son outil disparaît jusqu'à la poignée, remplissant la galerie de son sifflement aigu que ne coupe plus le tac-tac de la bêche débrayée. Il ne comprend pas d'abord. Mais le mineur se relève tout joyeux et crie :
"Ca y est, nous avons percé".

Une détente immédiate se produit, tout le monde se précipite vers lui pour voir. Il a dit vrai : la bêche retirée, ils voient à travers l'étroite ouverture la lumière de l'attaque opposée. En même temps leur parviennent les voix des maçons accourus de leur chantier. Bientôt l'ouverture peut livrer passage à un homme. Alors l'ingénieur s'y faufile. A l'œil il jugea que le raccordement pourrait se réaliser convenablement. Le mineur confirma sa pensée. "C'est bien ce que je disais, Monsieur l'ingénieur, nous nous raccorderons tout à fait bien, en hauteur comme en direction".
Rectificatif des plans de B4 : les cloisons doivent être ripées de 18 cm.
Le capitaine a prié son ingénieur de reporter un congé auquel il avait droit, vu l'urgence des travaux.


L'aménagement du terrain
Le capitaine veut faire entreprendre les travaux des glacis et des réseaux de barbelés. Il remet à son ingénieur les plans et les ordres correspondants et le charge du piquetage des divers tracés. L'ingénieur s'y emploie les jours suivants en compagnie de deux manœuvres. Armés de leurs instruments de topographie, tous trois parcourent le chantier. De gros piquets fixent les divers contours prévus dans la partie en plaine. En forêt c'est plus difficile, il faut y aller à l'aveuglette en tâtonnant car les jeunes taillis empêchent d'y voir clair ; dans la haute futaie les troncs semblent prendre un malin plaisir à se placer sur l'alignement fixé.

A coups de hachette les aides tailladent les sous-bois, tandis que l'équipe de bûcherons abat les arbres marqués par l'ingénieur. Des sentiers rectilignes découpent la forêt y créant une sorte de labyrinthe. Ce travail prend plusieurs jours ; le capitaine revient en tournée en contrôler les résultats. Suivi de ses acolytes, l'ingénieur soumet son travail à son approbation. A certains alignements, il s'arrête un moment, silencieux, hochant la tête comme pour approuver des pensées. Le capitaine lui dit :
"Cet alignement est très bien, l'arme placée là-bas le flanquera à merveille. Ainsi pendant la guerre, j'ai participé à la construction d'une ligne fortifiée de résistance ; je vous garantis qu'aucun Allemand ne l'aurait franchie. Chaque balle en aurait bien descendu plusieurs."


Le nivellement des glacis de tir

En bordure d'un chemin forestier, il devait être battu par le créneau d'un bloc encore à construire. L'ingénieur a matérialisé son emplacement par un jalon dont les couleurs rouges et blanches tranchent vivement sur le fond gris des arbres. Le capitaine contrôle sa position, puis l'alignement. Un tas de rondins forme obstacle à sa vue. L'ingénieur prend une échelle qui, dressée contre un arbre, devait permettre de voir par-dessus le bois. L'après-midi, ils entrent dans un des blocs terminés. Munis de nivelettes les aides ont dû rester sur le glacis. Les malheureux en prirent pour leur compte. Placé dans le créneau, le capitaine dirigea leurs évolutions. Il s'énerve car, comprenant imparfaitement le français, et par surcroît entendant mal ses ordres rabattus par la visière de béton, ils esquissent quelques faux mouvements.
"Regardez-moi ces imbéciles qui courent à tort et à travers" rage-t-il.
"Vous avez compris ce que je veux, n'est-ce pas ?" dit-il à son ingénieur. "Continuez donc. Faites creuser des saignées ; surtout dépêchez-vous de lever le terrain pour le règlement. Prenez un représentant de l'entreprise avec vous si elle le demande. A présent, donnez-moi vos attachements terminés, que je file".

Le soleil décline déjà par cette courte journée du début de l'année et l'empêche de poursuivre son travail.
Les glacis sont levés. Le temps est sec, alors les ouvriers en profitent pour pousser le plus possible les nivellements. Toute la journée, l'ingénieur travaille, l'œil à l'oculaire de l'appareil, son croquis à la main, pour y inscrire les altitudes calculées au fur et à mesure.
Il y a trois mois, un manœuvre a succombé à une électrocution.
Après une interruption de travail, l'ingénieur reprend sa place.


La mise en place des cuirassements
"Ils sont en train de mettre en place les cuirassements. Voyez plutôt ces morceaux d'acier qui traînent là ; si vous aviez à les soulever ? Heureusement "ils" ont leur pont roulant".
D'énormes blocs d'acier gisent là, en effet, profilés suivant des courbures savantes. Cependant l'identité de ces "ils" préoccupe l'ingénieur davantage que ces pièces en métal. Mais avant qu'il puisse s'en informer en détail, il voit surgir de l'ouverture réservée dans la dalle du bloc, un homme revêtu du bleu des mécaniciens.

"Monsieur Rollin, voici l'ingénieur qui va prendre la direction du chantier", et, tourné vers l'ingénieur, "voilà Monsieur Rollin, monteur en chef des cuirassements."
L'ingénieur et son guide poursuivent vers l'ouverture béante dans laquelle une échelle permet de descendre dans le bloc. En bas des monteurs s'affairent autour de poutrelles d'acier qu'ils scellent dans les murailles. Un gros plomb de maçon est suspendu après des triangles métalliques qui s'entrecroisent dans l'ouverture.

"C'est pour déterminer le centre" dit le guide en le désignant. "Ils font du beau travail, il faut le reconnaître, ils atteignent au dixième de millimètre. Jamais je n'aurais cru à une telle précision avec des pièces aussi pesantes que compliquées".


Dans la galerie principale
Ils descendent l'échelle, gagnent le puits du bloc pour se diriger vers les souterrains. Ces derniers ont également beaucoup avancé. La galerie principale, débarrassée d'échafaudages et libre d'ouvriers, offre semble-t-il, des perspectives infinies.
"Mais vous avez posé le radier définitif", s'exclame l'ingénieur; "décidément vous travaillez comme des nègres".

"Sur une faible longueur seulement ; on prépare actuellement la voie étroite définitive".
En effet, une chape proprement bouchardée remplace le béton brut d'antan ; souillée de terres et couverte de flaques d'eau ; elle recouvre le caniveau où naguère ruisselaient les eaux. Deux files de rails courent sur l'axe de la galerie. Malheureusement les eaux suintent toujours au travers des maçonneries des piédroits, les revêtant d'une croûte verdâtre et gluante par endroits. On avait aménagé en fontaine une venue d'eau plus forte ; elle prend source dans une niche pour se déverser dans un bassin.
"Il reste à la baptiser", dit le guide pour blaguer.
Ils poursuivent leur tournée. A midi, elle est terminée.

La vie du chantier reprend et semble devoir se poursuivre sans incidents. Lors de sa visite deux jours plus tard, le capitaine s'adresse à son ingénieur :
"Nous devons ouvrir un nouveau chantier à trois kilomètres d'ici, près de Peterswiller. Le piquetage en a été réalisé par la direction. Il faudrait me le relever, ainsi que l'emprise nécessaire, sur un plan parcellaire ; vous exécuterez en même temps l'attachement de terrain. Allez-y demain, voici un plan de repérage, vous trouverez les piquets facilement. Vous n'en aurez pas pour plus d'une journée, envoyez-moi tout de suite le relevé sur plan parcellaire".
"Bien mon Capitaine", répond l'ingénieur. Après le départ du chef, il prévient ses aides habituels et leur fait préparer les instruments topographiques nécessaires.



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