Construire le Schoenenbourg à 20m sous terre


Tous les guides de notre fort de Schoenenbourg ont été confrontés au questionnement de visiteurs qui s'interrogeaient sur la manière dont ont été construits ces innombrables locaux et galeries qu'ils parcouraient à plus de 20 mètres sous terre.  Comme ce sujet a rarement été abordé, il est peut-être opportun d'en faire le point.

 

POUR COMMENCER, IL FAUT DESCENDRE  

Rappelons que les ouvrages importants sont érigés selon le principe suivant : Les émergences et les parties souterraines des blocs de combat et d'entrée sont construits comme des éléments isolés qui n'ont encore aucun contact avec les autres parties du fort. Les tous premiers travaux concernant les blocs sont donc le creusement et l'édification des puits qui permettront de descendre sous terre et d'entreprendre la construction des locaux souterrains des blocs. Ces puits seront appelés "puits de blocs".  

Au moment où l'on commence le creusement des premiers blocs, on entame aussi l'excavation et la construction des galeries de liaison puis des locaux de service (PC, caserne, usine etc.) Plusieurs chantiers seront entamés, à nouveau comme des éléments isolés. Chaque chantier comportera un puits dit "de service" qui permettra aux ouvriers de descendre sous terre, d'y extraire les déblais de creusement, d'y amener les matériaux de construction.

Dans une phase finale, les tronçons de galeries exécutés séparément se raccorderont les uns aux autres puis, à leurs extrémités, se raccorderont aux parties souterraines des blocs de combat et des entrées.

 

LES PUITS DE SERVICE

 Le fort de Schoenenbourg n'entra véritablement en chantier qu'en juillet 1931, après les travaux préparatoires entrepris dès le printemps. L'entreprise parisienne Coignet, qui fut chargée de sa construction, démarra par le creusement des puits de service. C'est par là qu'accèderont les ouvriers qui oeuvreront à l'édification des galeries et locaux souterrains et que transiterons les matériaux de construction ainsi que les déblais qu'il faudra évacuer vers la surface. Car il faudra extraire 62 600 mètres cubes de terre, ce qui fait à peu près autant de rotations de wagonnets qu'il faudra, pour les vider, remonter à la surface par les puits de service. Sans compter les 22.000 mètres cubes de matériaux de maçonnerie et 13 400 mètres cubes de béton ordinaire (en grande partie pour les radiers) qui devront emprunter le chemin inverse sous forme de ciment, de sable, de gravier et d'eau.

 Au Schoenenbourg, il y eut 4 puits de service, encore appelés puits d'extraction. Chacun d'entre eux sera la base de départ du creusement et de la construction de galeries de communication ou de locaux d'un secteur bien défini. Sauf pour ce qui concerne le puits d'extraction de la caserne, les orientations ou limites d'intervention des équipes à partir de ces puits ont été établis par déduction, en l'absence de documents d'époque relatifs à cette phase des travaux.

 Puits de service n° 1 : c'est l'actuelle issue de secours secrète, située sur la galerie principale.

De là, les travaux pour la seule construction des galeries de communication progresseront à la fois jusqu'au pied de l'entrée des munitions (avec les magasins aux artifices), puis, depuis la gare arrière, au pied de l'entrée des hommes.

Puits de service n° 2 : également sur la galerie principale, il sera le point de départ pour la construction de la dite galerie, celle de l'égout et aussi les alvéoles d'entrées de câbles, entre le puits n° 1 et le puits n° 3.

il est devenu une entrée de câble téléphonique après son comblement, Cette entrée se situe à mi-chemin entre la gare arrière et le virage de l'égout. 

Puits de service n° 3 : il se trouve à environ mi-parcours sur la galerie principale, entre le virage de l'égout et le poste de commandement principal. De là, les mineurs, puis les maçons progresseront vers les blocs de combat.  Ils construiront le poste de commandement au passage, puis pousseront ce qui sera la galerie principale vers les blocs 4, 3, 1 et 2 et une galerie secondaire vers les blocs 5 et 6. Comblé au terme du chantier, son emplacement est néanmoins reconnaissable par la petite niche où sont logées deux citernes à eau.

 Puits de service n° 4 : il se trouve dans le casernement arrière, juste au dessus du puits d'eau potable. Ce puits de service servira essentiellement à l'accès au chantier de la caserne et de l'usine, à l'évacuation des terres et à l'amenée des matériaux de construction de ces locaux. Du fond du puits n° 4, on a ensuite foré le puits à eau de la caserne. Puis le puits d'extraction a été remblayé à la fin des travaux,

 Mais il y eut aussi les puits correspondant aux fouilles pour l'édification de chacun des 8 blocs de surface.

 

LES PUITS DE BLOCS  

Selon le colonel Sudrat, qui en tant que jeune capitaine dirigea les travaux dans le secteur allant des casemates d'Ingolsheim à celles de Hoffen, les puits permettant d'accéder aux galeries souterraines depuis les blocs de combat ou d'entrée étaient toujours de grandes dimensions ( 7 m x 5 m environ à l'abri du Grasersloch). La plupart du temps, en plus de l'escalier qui tournait le long des parois, un ascenseur en occupait le centre. Ils devaient aussi laisser le passage aux gaines de ventilation et aux câbles de conduites diverses.  

D'après le colonel Brice, qui en tant que capitaine du génie, dirigea en grande partie la construction du Hochwald, on peut résumer les choses de la manière suivante :

- Le creusement du puits s'effectue bien avant la fouille et donc l'édification du bloc afin de pouvoir entreprendre sans tarder la construction des locaux souterrains (magasins à munitions, PC, dortoir, dessertes, etc.) correspondant au bloc de combat. De toute façon, au moment où l'on creuse le puits, le plan du bloc est encore sur la planche à dessin du bureau d'études.

- Le puits de service deviendra le puits de l'escalier et dans la plupart des cas de l'ascenseur qui reliera les parties basses aux parties hautes du bloc 

- Quand le plan du bloc est validé par la CORF, on réalise alors la fouille où l'on bétonnera ensuite le bloc.

 

LE TERRAIN

Les renseignements fournis par les géologues de la société d'exploitation de pétrole de Pechelbronn révélèrent, suite à des données cartographiques et des prélèvements de forages, une couche glaiseuse (argile) allant jusqu'à 7 mètres de profondeur, puis jusqu'à 11 m une couche de marnes où prolifèrent des agglomérats de calcaire, puis au-delà une couche de 100 mètres de marnes verdâtres entrecoupée (à partir et au-delà de – 30 m ) de couches gréseuses, au grain très fin.

La marne est, selon le dictionnaire, une masse terreuse composée, en proportions très variables, de carbonate de calcium, d'argile et quelquefois de sable. En clair, il s'agit d'une terre boueuse, humide, plus ou moins visqueuse, plus rarement granuleuse. Au Schoenenbourg, elle est à dominante argileuse, de couleur bleu/vert la plupart du temps, entrecoupée d'amalgames d'argile où circulent de petits mais nombreux filets d'eau souterrains et même…du pétrole. Bref, de l'avis des connaisseurs, on va édifier les parties basses du fort dans une vraie "cochonnerie".

 

CREUSER ET CONSTRUIRE

Les galeries de petite ou de taille moyenne ont été presque toujours creusées à pleine section, c'est-à-dire d'un seul tenant. La méthode employée pour forer les galeries à forte section (jusqu'à 3,30 m x 3,50 m ) a été le plus souvent celle de la galerie pilote de base élargie par tronçons successifs jusqu'au gabarit définitif, dixit le colonel Sudrat.  

En fait plusieurs modes de construction étaient en usage dans les années 1930, dont la méthode classique et la méthode que nous appellerons inversée. Si la méthode classique a été utilisée pour la construction de galeries de faible section ou de locaux plus importants comme des alvéoles ou une succession d'alvéoles pouvant aller jusqu'à 35 m de longueur comme dans le casernement, aucun document ne nous indique si la méthode inversée, pourtant beaucoup mise en œuvre à cette époque, à été appliquée au Schoenenbourg. Mais comme cela est fort probable, nous allons étudier les deux.

 

METHODE PAR CONSTRUCTION CLASSIQUE  

Selon une notice de la Direction des travaux du génie de Strasbourg datée de 1938 et portant sur la construction d'alvéoles à proximité du bloc 8, le mode d'exécution des travaux serait le suivant :  

- La galerie d'avancement sera attaquée dans l'axe de chaque alvéole à construire et poursuivie jusqu'à l'extrémité du futur bâti. Cette galerie sera "cadrée" par un boisage qui sera plus ou moins important selon la nature du terrain rencontré.  

- Dès que la galerie d'avancement d'une alvéole sera achevée, on procédera, en partant du fond, à l'exécution successive des abatages latéraux (par éléments de 3,20 m de long), pour arriver jusqu'à la largeur hors tout de la future alvéole. Chaque abattage successif ne sera attaqué que  lorsque son précédent aura été maçonné et clavé.  

- Dès qu'un abattage est terminé, on procédera à l'exécution des maçonneries.  

- On commencera à construire les piédroits depuis le sol jusqu'à la naissance de la voûte

- Puis on procédera à la pose des cintres qui feront office de coffrage de la voûte.

- Les pierres de la voûte seront posées à bain de mortier sur les couchis prenant appui sur les cintres. Le déboisage sera effectué au fur et à mesure du calage du ciel par les maçonneries (on bourre les moellons jusqu'au terrain surplombant la voûte).  

- Les piédroits et la voûte d'une alvéole étant achevés, on procèdera au bétonnage du radier et à l'exécution des enduits.  

 

   

LA METHODE PAR CONSTRUCTION INVERSEE  

C'est la méthode qui est principalement utilisée pour la construction des tunnels et notamment ferroviaires dans les années 1930. A Paris, toutes les galeries du métropolitain ont été édifiées de cette manière

Prenons l'exemple de ce que sera la future galerie principale d'un ouvrage tel que le Schoenenbourg. A la base du puits d'extraction, les ouvriers commencent à creuser dans la direction et le niveau que leur indique le géomètre. Ils percent alors ce qu'on appelle la galerie pilote. Celle-ci, qui a à peine la taille d'un homme est étayée au fur et à mesure de son avancement. La galerie pilote est alors élargie des deux côtés jusqu'au dégagement du vide nécessaire à la construction de la voûte.

Car il s'agira de réaliser en premier la voûte. Contrairement à une construction traditionnelle où l'on monte l'édifice du bas vers le haut, pour la méthode inversée, c'est le contraire, on va du haut vers le bas. Une technique difficile à comprendre pour le non spécialiste, mais qui est pratiquée depuis fort longtemps au moment où l'on construit la ligne Maginot. L'explication est que l'on pourra construire le bas sous la protection de la voûte.  

Comme pour la méthode classique, la galerie pilote élargie est elle aussi étayée et sécurisée par de larges planches maintenues contre le terrain par des renforts, empêchant les éboulis, elle est donc boisée. Quand le sol est assez 

consistant, on le maintient en la butonnant au moyen de simples madriers transversaux. Ont été également employés des cintres métalliques. Les terrassements sont effectués à la pelle et à la pioche ou par marteau bêche pneumatique en terrain mou, par marteaux piqueurs et marteaux bêches à air comprimé là où il est rocailleux.

Eugène Leibenguth, ingénieur de formation, qui a réalisé une partie des plans du Schoenenbourg puis conduit le chantier nous livre une description très parlante : "le terrain rencontré est franchement mauvais, sans consistance, à boiser et à maçonner incontinent sous peine de l'ébranler. L'eau très abondante vient de partout, suinte le long des boisages, les revêtant d'un brillant très décoratif. Des étais très épais et rapprochés presque à se toucher, supportent les planches qui retiennent les terres".

 

 

CONSTRUIRE LA VOUTE  

Les charpentiers réalisent alors un solide coffrage en forme de cintre ayant les dimensions de l'intrados (la partie inférieure ou interne) de la voûte.  

Un second coffrage est également réalisé aux dimensions de l'extrados (la partie externe), et soutenu par des étais. Selon le colonel Brice, qui en tant que capitaine est alors responsable du corps du génie au Hochwald et qui a suivi toute la construction de cet ouvrage, le coffrage du haut est souvent métallique et resservira donc tout au long du chantier.

L'espace est ensuite rempli de gros moellons provenant d'une carrière, Ces derniers baignent dans un lit de mortier. Quand le cintre est rempli, les charpentiers fabriquent un nouveau coffrage inférieur qu'ils fixent dans le prolongement du précédent. Puis ils ripent vers eux le coffrage du haut et tout recommence. La voûte est ainsi fabriquée par tronçons d'un mètre.

Selon Brice, le principe des voûtes de moellons et de mortier a été la règle dans tous les ouvrages souterrains de la ligne Maginot. Il n'y eut pas de voûtes en béton.

 

 

PUIS LES PIEDROITS

Les murs d'une galerie ou de tout autre local sont appelés piédroits. Mais avant de les construire, il faut à nouveau creuser car il faut descendre sous la voûte qui elle, repose sur le sol naturel. On commence donc là où le chantier a débuté. La maçonnerie de la voûte a durci au fur et à mesure de l'avancement des travaux dont la tête de chantier est maintenant loin. Les ouvriers creusent alors ce qu'on appelle une cunette, une espèce de grande rigole où ils pourront progresser sous la voûte et poser la voie de 60 cm de chantier qui permettra, grâce a de petits wagons bennes, d'évacuer les déblais d'abattage.  

Puis ils élargissent la cunette jusqu'à l'extrémité de l'emplacement du futur piédroit ou, après les mesures d'usage, ils commencent à monter le mur. Un coffrage fait de planches servira en même temps de gabarit externe à la maçonnerie. A nouveau, les maçons disposent les moellons les uns sur les autres en les jointoyant au mortier. Ces moellons sont des blocs de grès à peine dégrossis, avec la taille desquels il faut jongler pour garder un niveau équivalent sur la longueur.  

Au Schoenenbourg, tous les piédroits des galeries et locaux souterrains ont été réalisés de la sorte. Il n'y a pas de murs bétonnés. Au Hochwald, c'est aussi le cas pour les arrières, les avants ouest et une partie de la galerie est. Par contre, le reste de cette galerie et tous les locaux des blocs est ont été dotés de piédroits en béton de laitier. Le laitier est un résidu de hauts-fourneaux qui durcit le ciment et par conséquent le béton et le rend plus étanche.  

 

Ce procédé a été utilisé dans les terrains humides et de mauvaise consistance.

En Lorraine, une troisième solution a été appliquée dans un certain nombre d'ouvrages (Galgenberg, Soetrich, Latiremont, etc.), où l'entassement de moellons a été masqué par un parement de pierres soigneusement taillées, à la manière des forts plus anciens ou encore des châteaux-forts, ce qui donne un beau rendu visuel et qui évite l'adjonction d'un enduit.

L'épaisseur des piédroits varie, selon les prescriptions, entre 50 et 90 cm . Au Schoenenbourg, où le terrain est considéré comme très mauvais, les constructeurs sont allés par moments jusqu'à 1 mètre . Cela a été mesuré par nos techniciens qui ont effectué un percement avec un foret d'un mètre, qui a seulement émergé de l'autre côté du piédroit alors que la machine arrivait au ras du mur.

Les maçons montent donc le piédroit par couches de moellons. Un moment, ils pratiquent un retrait pour pouvoir installer ultérieurement les margelles porte-câbles. Puis arrive le moment de la jonction avec la semelle de la voûte et le piédroit est monté.

 

COMME UN JEU DE CONSTRUCTION

Un tronçon de piédroit vient donc d'être réalisé. Mais la plus grande partie de la semelle de la voûte repose encore sur le sol naturel. On pourrait donc imaginer que l'on abatte le sol naturel au fur et à mesure que le piédroit est constitué, l'un prenant le relais de l'autre dans la portance de la voûte. C'est oublier qu'il faut un temps de séchage au piédroit, avant de supporter une charge aussi lourde.

Ainsi, à intervalles réguliers, on laissera comme de gros piliers de terrain entre lesquels on montera des tronçons de piédroits. La dénomination de ces piliers est Stross. La même chose sera faite pour le second mur, qui fait face au premier, mais on décalera les Stross de manière à ce qu'ils ne soient pas en face les uns des autres.

Quand les premiers tronçons de piédroits sont secs et aptes à recevoir la charge de la voûte, on abat un après l'autre  et en quinconce les Stross intercalaires. Puis on meuble immédiatement ces vides en y maçonnant la seconde série de piédroits. Il ne restera ensuite qu'à couler du béton de laitier pour 

constituer le radier (le sol) de la galerie. Là aussi, une réserve permettra ultérieurement de noyer dans le béton les rails de la voie de 60 cm définitive. Le collecteur principal d'eaux usées sera intégré dans le radier, au fur et à mesure de son avancement.

 

 LA GALERIE PREND FORME

Donc, la galerie prend forme. Pour avoir une notion de la vitesse de son avancement, reportons-nous au rapport du colonel Brice qui mentionne que pour le Hochwald ouest, elle fut de 2 mètres de longueur par jour, vu que c'était du bon terrain. Pour l'est, ce sera 1 mètre par jour seulement et même parfois 50 cm dans le très mauvais terrain.

Mais donnons à nouveau la parole à Eugène Leibenguth : "La galerie principale de communication, l'artère centrale de l'ouvrage futur, s'étend de part et d'autre de son point d'accès sur plusieurs centaines de mètres déjà, le gros œuvre terminé, sauf évidemment les derniers mètres. Je me dirige alors vers le tronçon sud. Là, se fait la jonction avec l'autre secteur de l'ouvrage. Les ouvriers marchent sur une sorte de trottoir boueux et glissant, la voie Decauville court toujours à son côté, en face une rainure dans le radier draine les eaux d'infiltration. La galerie est humide, par endroits de petits stalactites ont poussé sur la voûte, dans une niche elle réceptionne une source abondante".

"Des galeries secondaires se détachent de temps en temps de la principale, celle-ci s'élargit alors et sa voûte se hausse. Les lampes régulièrement espacées sur la voûte engendrent des zones alternantes de lumière crue et de demi ombre ; les bruits des ouvriers des têtes d'attaque s'entendent au loin. Des étaiements obstruent la galerie dont ils maintiennent la fouille. On trouve des rondins énormes enchevêtrés, à mi-hauteur ils supportent une planche sur laquelle les maçons montent la voûte en moellons, guidés par les cintres en acier. Plus en avant, une autre équipe maçonne un piédroit. Tout au bout, des mineurs découpent la terre, une marne bleuâtre et tenace, à l'aide de bêches pneumatiques dont les sifflements et la pétarade achèvent de vous assourdir."

 

LE MOMENT DE VERITE, LES DEUX GALERIES SE REJOIGNENT

Puis, Leibenguth parle à la troisième personne : "Le chef mineur a prévenu l'ingénieur de l'imminence de la percée. Depuis plusieurs jours, il a fait arrêter l'attaque opposée afin d'éviter les risques d'accidents. Mais son équipe y va avec une ardeur redoublée ; on aurait dit que les ouvriers mettent leur point d'honneur à réaliser la percée. Les bêches pneumatiques découpent la terre tenace et grasse, sifflant et crachant l'air comprimé, les wagonnets se chargent à une allure record. Cependant les minutes s'écoulent. Tout à coup, il vit l'un des mineurs tomber en avant, tandis que son outil disparaît jusqu'à la poignée, remplissant la galerie de son sifflement aigu que ne coupe plus le tac-tac de la bêche débrayée. Il ne comprend pas d'abord. Mais le mineur se relève tout joyeux et crie : "Ca y est, nous avons percé".

Une détente immédiate se produit, tout le monde se précipite vers lui pour voir. Il a dit vrai : la bêche retirée, ils voient à travers l'étroite ouverture la lumière de l'attaque opposée. En même temps leur parviennent les voix des maçons accourus de leur chantier. Bientôt l'ouverture peut livrer passage à un homme. Alors l'ingénieur s'y faufile. A l'œil il jugea que le raccordement pourrait se réaliser convenablement. Le mineur confirma sa pensée. "C'est bien ce que je disais, Monsieur l'ingénieur, nous nous raccorderons tout à fait bien, en hauteurcomme en direction".
Mais il faudra rectifier les plans du bloc 4 : les cloisons doivent être ripées de 18 cm pour que le débouché dans la galerie principale se fasse à l'aplomb".

Ainsi, vers la fin de l'année 1933, les dessous des blocs de combat n°1, 2, 5 et 6 sont raccordés à leur galerie de desserte venant de l'arrière. Les blocs 3 et 4 ne seront raccordés qu'à la fin de l'année 1934 car ces derniers ont été, pour différentes raisons, les derniers à avoir été mis en chantier.

 

LES FINITIONS

Mais si le gros œuvre de la galerie principale est achevé, elle n'est pas finie pour autant. Les maçons entreprennent alors la construction des margelles destinées à porter les câbles électriques et téléphoniques. L'évidement laissé intentionnellement dans les piédroits accueillera un montage de briques alternant retraits et ressauts sur lesquels seront posés ces conduits après que l'on eut badigeonné le tout à l'enduit de ciment.  

Les rails définitifs de la voie de 60 cm du futur train électrique sont alors disposés dans l'évidement laissé dans le radier. Ce dernier sera rempli de béton de laitier, noyant les rails et leurs traverses, en ne laissant apparaître que la bande de roulement.

Tous les locaux et galeries de l'usine, de la caserne, du PC et des blocs de combat seront ensuite crépis à l'enduit de ciment. Hors de ces secteurs d'activité, la galerie principale ne reçut pas d'enduit et resta brute de décoffrage. Et pourtant, de nos jours, nous pouvons constater que certains tronçons de la galerie principale ont été crépis dans la voûte, ou même entièrement. Cela résulte des travaux d'étanchement réalisés dans les années 1938 sous la conduite du capitaine Stroh. Comme, en l'absence d'enduit, de nombreuses entrées d'eau avaient humidifié la galerie, il fallut poser des drains dans les piédroits. Du coup, il fallut éliminer les margelles porte-câbles et appliquer un revêtement hydrofuge dans la zone à traiter.

Fin 1933, le béton des blocs 1, 2 et 6 est coulé en surface. Celui des blocs 5, 7 et 8 en début et au cours de l'année 1934. Les blocs 3 et 4 sont bétonnés à la fin de cette année. Cas unique sur la ligne Maginot, suite à la mauvaise portance du terrain, à l'exception du bloc 6, des piliers additionnels devront  être forés puis bétonnés sous presque tous les blocs de combat où, d'après le capitaine Stroh, aucun terrain stable ne fut rencontré.  Idem pour le bloc d'entrée des hommes. Pour le bloc d'entrée des munitions, les piliers ne furent pas nécessaires.

L'année 1935 fut entièrement consacrée à installer les équipements internes et l'armement.

Et c'est ainsi que s'achève notre aperçu sommaire (et un peu technique) sur la manière dont sont construites les parties souterraines du fort de Schoenenbourg, et dans l'ensemble pratiquement de tous les autres ouvrages de la ligne Maginot du nord-est, à plus de 20 mètres sous terre.  

Jean-Louis Burtscher  

 

SOURCES :

- Notice technique de la Direction des travaux du génie de Strasbourg – 1938

- Les tunnels ferroviaires de France sur www.tunnels-ferroviaires.org

- L'ensemble fortifié du Hochwald, recueil de souvenirs, par Robert Brice

- La construction du secteur fortifié de Haguenau, par André Sudrat (aussi sur secteur fortifié de Haguenau)

- Le chantier de l'ouvrage, extraits du récit d'Eugène Leibenguth (aussi sur fort de Schoenenbourg/le chantier de l'ouvrage...)

- Témoignages divers, par Pierre Stroh (aussi sur www.lignemaginot.com)

- Le Hochwald - le Réduit sur www.lignemaginot.com/découverte de la fortification/le secteur fortifié de Haguenau

- Hommes et ouvrages de la Ligne Maginot, tome1, J.Y. Mary et A. Hohnadel



- Retour